dimanche 26 avril 2015

Comment mange-t-on un éléphant ?

Il y a un mois, Caroline a publié dans son carnet sur hypothèse ses méthodes pour ne pas se perdre dans la rédaction de la thèse. 
En réfléchissant à comment je me suis organisée ces sept dernières années pour venir à bout (presque) de la thèse, je me suis dit que je pouvais aussi partager les miennes. 

Au début du doctorat, j'ai essayé de limiter l'usage du papier. Pas tant par conscience écologique, ou par amour fou du support informatique. Plutôt parce que la thèse a été faite en cotutelle entre la France et le Québec, que je savais que j'allais faire beaucoup d'aller-retour entre les deux, et que le kilo de bagage en avion coûte cher. J'avais fait ça déjà pour la maîtrise : apprendre de ses expériences passées.

Le temps des lectures
 

J'avais donc commencé à prendre mes notes de lecture dans des documents Word, empilé dans des dossiers, et puis j'ai fait connaissance avec un logiciel tout neuf à l'époque, l'éléphant vert de Evernote (billet non sponsorisé, promis). Ce logiciel n'est pas pensé pour la thèse. Il ne fait pas gestion de bibliographie, n'est pas aussi structuré qu'une base de données. Il était parfait. 
Je pouvais ranger mes lectures par carnets, et indexer chaque notes avec des "tag" modifiables à loisir. Pdf intégrables, et recherche dans le texte possible... la magie donc. Nouveauté en 2008, le contenu de ce que j'y entrais était immédiatement sauvegardé en ligne (ce qui m'a permis de le récupérer sur 3 ordinateurs successifs, à la suite de crash de disques dur au cours des années de thèse, sans en perdre une miette)
J'ai confié tout le matériel de ma thèse à l'éléphant vert. Et quand c'est devenu sérieux entre nous, je me suis même offert l'abonnement.


Les listes de lectures imposées par le programme doctoral montréalais se sont donc gentiment rangée dans mes fichiers de bibliographie. Nom de l'auteur et titre de l'ouvrage pour identifier ma note, et me voilà avec toute ma bibliographie bien rangée, au même endroit, et des notes qui ressortent sur demande d'un mot-clef.


Evernote et ma bibliographie


 
En parallèle, des carnets, intitulés "journal de thèse". Des carnets qui m'ont suivi dans les bibliothèques, et puis ensuite dans les archives, et puis à nouveau à la bibliothèque au cours de la rédaction. Pas vraiment des notes de lectures dedans, plutôt quelques réflexions qui ne naissent que sous le stylo, et puis des cote de livres à aller chercher dans les rayonnages, des dessins pendant des conférences




Au final, j'en ai rempli une petite dizaine











Et puis j'essayais d'organiser tout ce que je lisais, d'essayer de commencer à comprendre. J'ai punaisé des papiers sur des murs, des trucs flous et désorganisés auxquels j'essayais de donner du sens.



État de la thèse, 2009-2010



Ce n'était pas un plan de thèse comme je le pensais à l'époque, plutôt un manière d'essayer de domestiquer l'hydre à quinze têtes qu'était devenue la thèse. Il y a des post-it multicolores, des flèches, des tentatives de codifier des notions. Et l'impression que ça ne marchait pas vraiment, de me cogner contre un mur.

Et puis des sous dossiers dans Evernote, pour y ranger des réflexions. Je suis régulièrement revenue dans certains de ces dossiers, d'autres se sont perdus, rouverts pour cet article pour la première fois depuis 4 ou 5 ans.. Ah tiens, j'avais ça..






Le périple des archives

Après deux ans de lectures, s'ouvre le périple des archives. Des dépôts départementaux en Auvergne, d'autres à Paris, et puis au Québec des archives de congrégations religieuses. Pour ne pas me perdre dans tout ça, à nouveau Evernote et un grand classeur vert. Je me suis baladée dans les dépôts avec mon appareil photo, deux cartes-mémoire, mon chargeur, mon ordi, et mon classeur. J'ai rangé dans le classeur des copies d'inventaires d'archives, soigneusement stabilotés le soir une fois les documents consultés et les photos prises. À chaque lieu de conservation d'archive, un carnet Evernote, à chaque nouvelle boîte, une fiche... Comme le logiciel n'est pas prévu pour archiver une bibliographie, il n'avait aucun problème avec mes fiches baptisées selon leur cote d'archive. Quelques mots pour me rappeler ce qui s'y trouvait, des "tag" à l'occasion, et chaque photo archivée le soir selon le même système dans le dossier "thèse" de l'ordinateur. Progressivement, le classeur papier est devenu obsolète, alors que les fichiers Evernote et les photos d'archives se répondaient.




index papier
sources rangées

Index intelligent



Entre la fin de cette période de récolte et le début de la rédaction, quasiment un an. Bon, d'accord, il y a eut 7 mois de grève étudiante au Québec, et ça a pris tout le temps, l'énergie et la capacité de réfléchir dont je disposais, comme tous ceux qui ont substitué études, lectures et écriture au profit d'AG, manifestations et réunions militantes.


Et puis à la fin de l'été 2012, sur le chemin du retour d'un week-end qui nous avait entraîné au parc d'Oka, j'ai trouvé LE plan. Celui qui faisait tenir ensemble et de manière cohérente ces 88go de photos d'archives et toutes ces choses accumulées depuis quatre ans.


Oui oui, ceci est la traduction papier de quelque chose de très clair.


La rédaction


Ont alors commencé deux années d'écriture. Honnêtement, je pensais que ça prendrait la moitié du temps. Mais l'écriture de thèse, en ce qui me concerne en tout cas, est un processus long, une matière résistante. Le moment où finalement les idées se forment, lentement, longuement, douloureusement. Comme tout ces fichiers et dossiers bien classés le laisse supposer, je suis une grande procrastinatrice qui aime ranger dans des beaux classeurs pour repousser le moment de travailler réellement. J'ai passé trois mois à peaufiner mon plan de thèse.
(non mais il était joli, avec plein de couleurs et tout)

Au passage, j'ai découvert (je ne sais plus comment), Scrivener. Oui, parce que l'idée de devoir écrire ma thèse dans Word (cet outil de Satan) me faisait vraiment peur. En plus, pour d'obscures raisons de versions plus ou moins craquée, ma version de Word avait cette charmante habitude de planter pour tout document de plus de 15 pages, et de me dire que "Word a quitté inopinément", ce que je trouvais fort grossier lorsque je retrouvais mon fichier pas à jour, et la mise en page détruite (plus de paragraphe, même taille de police des titres et du texte... un rêve).
Scrivener donc, mon deuxième meilleur ami. Fait pour écrire des textes longs. Une interface qui divise l'écran de tel manière que même sur les 13pouces de mon macbook, j'ai l'impression d'avoir de la place, alors que même en plein écran Word me hurle que mon écran est trop petit.


Comme finalement j'avais un plan de thèse super structuré (3 parties de 3 chapitres chacun, j'aurais voulu le faire exprès que je n'y serais pas parvenue), j'ai fait des dossiers et des sous dossiers. C'était joli et réconfortant. Et toute la thèse dans un seul document. Ouvrir un dossier "thèse" et écrire directement dedans donnait un peu le vertige.



Le plan s'est un peu modifié sur la fin de l'écriture, mais remplir des dossiers et les changer de couleurs une fois chaque chapitre achevé : un sentiment magique.



Au fur et à mesure de l'écriture, je replongeais dans mes sources, donc dans Evernote. À chaque début de chapitre, de sous partie, de sous section, je faisais un plan détaillé, et j'allais chercher par mots clefs les articles et ouvrages, puis les sources, qui allaient m'être utiles. À ce moment là, j'ai imprimé. Beaucoup. De toutes façons, depuis 2012, je me suis établie à Montréal, et les voyages en avion sont 1/plus rares 2/destinées à des vacances ou colloques.


Un dossier par chapitre, grosso modo, avec mes fiches dedans. Et des dessins dessus parce que par moment - souvent - la rédaction bloque, et que vider des stylos multicolores sur des dossiers cartonnés premier prix laisse l'esprit vagabonder et les idées se former. Et puis ils deviennent jolis, et donc moins désagréables à ouvrir.

Dans Evernote, j'ai fais des copies de fiches, pour les ranger non plus selon les lieux ou les archives sont conservées, mais par types de documents, puis par thématiques de chapitres sur la fin, alors que l'organisation générale n'était plus si importante puisque la fin était à portée de main.


poétique au possible, je sais


Écrire la première version des huit chapitres de la thèse m'a occupée de décembre 2012 à décembre 2014. Certes, entre les deux, il y a eut quelques colloques, un dossier de candidature pour un poste de prof, des charges d'enseignement. Mais finalement, deux ans d'écriture pour aboutir en décembre dernier à un classeur de 286 pages :






À chaque fois que j'ai terminé un chapitre, je l'ai imprimé. Enfin, les deux premiers. Après, j'ai oublié, et je n'ai finalement complété l'impression qu'après avoir bouclé la première version du huitième. Je conseille ça à tout le monde. D'un coup, la thèse s'est mise à exister, physiquement. Les différences entre cette version et celle soumise au jury sont multiples (finalement, sept chapitres, et plus vraiment en trois parties). Mais malgré une conscience assez précise du travail qui restait à faire, cette thèse visible m'a rendue heureuse pendant au moins dix jours (oui, ça paraît dérisoire. En fin de thèse pourtant, c'est extraordinaire)


À partir de la mi-janvier, le compte à rebours de fin à commencé. J'ai repris mes chapitres constellés de commentaires, remarques et corrections. Sur les conseils d'une amie qui a déposée sa thèse quelques mois avant moi, j'ai fait une liste de toutes les choses à faire. Un documents "bloc note" dans Word, avec des onglets, la liste de choses à faire, et le plaisir des les rayer à la fin de chaque journée.
Au cours de ces deux mois, j'ai réécris les cinq premiers chapitres, devenus finalement quatre, et puis retravaillé plus légèrement les derniers, qui étaient plus abouti (et rédigés plus tard, ceci expliquant cela). J'ai délaissé Scrivener pour Word, il fallait bien que les directeurs puissent corriger les chapitres. Depuis un an, une nouvelle version ne crashe plus aussi souvent, et finalement ça s'est bien passé.
Tout les chapitres se sont gentiment rangés dans un dossier, changeant de couleur selon leur état d'avancement, et de numéro selon leur version.


En bleu, bon pour le fichier final


Et puis après le tunnel d'écriture, les derniers jours avec déficit de sommeil, les joies de la mise en page, j'ai fini à 2h du matin un PDF. Imprimé le tout le lendemain et remis à la garde de la responsable du département.



Sept exemplaires, pour plus cher que mon loyer.
Mais avec du soleil.

Depuis j'attends, suspendue dans cette période où on ne contrôle plus rien. La thèse s'est rendue, je l'espère, jusqu'aux bureaux des membres de mon jury. Il ne reste qu'à attendre. j'ai rangé mon exemplaire sur une étagère, et je refuse de l'ouvrir avant de lire les rapports de pré-soutenance (je ne peux plus rien faire contre les multiples coquilles qui, je n'en doute pas, émaillent le texte). En attendant je dors, je me remet à coller des choses de couleurs sur des toiles, et je perfectionne mes recettes de brioches aux pralines.





J'ai une envie folle de ranger dans des boîtes tout ce bazar de thèse, mais la superstition me dit d'attendre que tout soit vraiment fini.

Ah oui, comment mange-t-on un éléphant disais-je ? Une bouchée à la fois, en le découpant en petits morceaux.

[edit juillet 2015 : thèse soutenue le 9 juin dernier, félicitations du jury et autres choses agréables. Voilà, ça c'était pour ceux qui se demandaient ce qui s'était passé ensuite. Il faudra que je fasse un billet sur l'état bizarre de l'après soutenance un de ces jours.]






dimanche 6 juillet 2014

Academia: An Abusive Partner

Mon amie Marie m'a proposé de traduire le texte que j'ai posté ici il y a 3 jours sur l'Université comme partenaire abusif. J'en suis flattée et poste donc ici la traduction, pour que l'on puisse désormais se plaindre de nos conditions de doctorants dans les deux langues.

I’m completing my dissertation and I live in Quebec. Surrounding me are myriads of people who have completed their PhDs and are hoping to get a job at university. I have come to think, as I watch us chasing badly paid odd jobs in our field of research, that this job search resembles an abusive relationship.
Academia, where we have spent multiple years of our lives, an institution in which we have invested time, but also so much emotional energy, takes the form of an abusive partner towards the end of the writing process, and even more so after submission.
A university welcomed you, arms wide open, telling you that you were the best. A brilliant individual with a wealth of possibilities, and it felt lucky to see you start your PhD program in its institution.
(And there you go: you are in love.)
But time goes by and you spend so much time specializing in a very narrow field that you have come to think that academia/research is not only one growth opportunity for you but THE ONLY way to develop your full potential professionally. Since these studies are very demanding and enriching, you come to lose sight of the non-academic world that you now see only through the lens of people like you (research trainees, doctors, aspiring professors, and professional researchers).
(And there you are, progressively cut off from the world, and from the resources that would allow you to escape an abusive relationship.)
Then, you accept to give in to a series of humiliations for which the institution demonstrates an inventiveness ceaselessly renewed. You must explain in long letters why you’re asking to take one more year to finish your dissertation and beg the department for the authorization (the university has reduced or suppressed your research funding and instead requires teaching hours on your part, time which you cannot devote to your dissertation). Once the thesis is done, you send out job applications for academic positions for which it is not even deemed necessary to send you an email to tell you that your application was unsuccessful. You apply to post-docs (badly paid, no long-term possibilities) and once again, your application gets lost among the 400 other candidates.
(Step 2: loss of self-esteem)
Tired of this life which brings you to the brink of your thirties penniless, without being able to plan a future and fearing that things will never change (because you follow the latest news regarding the research labour market, and nowhere do you see any light), you consider retraining, without knowing how or in which way: academia trained you in things very precise and interesting, but not at all in formulating them in a way which make them attractive to employers.
(Losing your independence)
Then, the university throws a little something your way. A short teaching or research contract, completely derisory, but from the vantage point of your very depressed state, it seems miraculous. You take it as a foretaste of what could one day be your job if you were ever hired.
(A bouquet of flowers and the promise that it will all change, promise)
And since you love teaching/doing research (you love him/her), since the outside world is frightening (you’re isolated), and since you are convinced that no one will ever hire someone as specialized as yourself (anyways, I’m such a loser, no one else will ever love me), you keep on hoping that you will one day get hired (that your partner will change, and will treat you as you deserve), and leave to slowly die out (until next time) your vague desire to retrain.
Granted, it’s a rather dire picture of the situation, but I think that my abusive relationship analogy works rather well and that, in the end, I find it rather liberating to be able to look at the situation from this angle. Research needs well-trained people to work, and that is all good and well. Research institutions however currently treat this population of doctors & co. as cannon fodder.
I partly admire those who find the energy to keep going on this tortuous road, hoping to find a decent job that will enable them to practice that for which they were trained. I have a guilty conscience when I think about not trying to get into the race (for a variety of reasons, including the fact that those who step out of the game are mainly women, and I hate seeing those lads that are no brighter than us win with the help of a mixture of arrogance and lack of competition. Yes, patriarchal structures exist in research just as anywhere else. People have written very well-documented and depressing pieces on the subject, here’s one, and it’s far from being the most pessimistic).
Despite the guilt, I’m coming to the conclusion that, regarding myself, instead of getting tangled in an academic web, I want to save my own skin.
Now let me go back to writing a bit of my chapter, and then reorganize my CV to start looking for a job outside of academia.



And yes, I just posted a picture of a bird escaping its cage.
You can totally disavow me.

vendredi 4 juillet 2014

L'Université, ce partenaire abusif

@rrêt sur images nous propose cette semaine une très belle émission sur l'état de la recherche en France que je vous invite vraiment à aller voir (comment ça vous n'êtes toujours pas abonnés ?). L'équipe s'interroge dans le texte de fabrication de l'émission sur le besoin d'y inviter des contradicteurs, mais je trouve vraiment que la discussion entre des gens qui partagent le même constat sur l'état de l'Université et de la Recherche permet de vraiment creuser les aspects de la question plutôt que de perdre du temps à répondre à ce qui aurait pris la forme d'une langue de bois politique. Bref, excellente émission, elle est ici.

Si, pendant 1h15, on discute de l'avenir de la Recherche en France, peu de temps est consacré au devenir des gens qui ont été formés comme chercheurs. Je comprends bien qu'il s'agit d'un autre sujet d'émission mais, comme ce sujet me touche de près, je me suis permis de poster un commentaire-fleuve sur le forum et, comme je suis assez contente de ma métaphore filée, je me suis dit que j'allais le re-poster ici, en éditant (la majorité des) fautes de frappe et d'orthographes qui émaillent mon texte (ce qui ne fait pas sérieux pour quelqu'un qui achève sa 11e année d'études universitaires....)

Le texte posté sur le forum, donc :

« Sur la précarité du monde de la recherche, je vois aussi autour de moi des gens qui ont achevé leur doctorat et qui recherchent un emploi à l'université ( J'arrive à la fin de ma thèse et je suis au Québec). J'en viens à me dire, en nous observant courir après des petits boulots de recherche mal payés que ces recherches d'emploi s'apparentent à des relations abusives.
L'Université, lieu où on a passé plusieurs années de nos vie, institution dans laquelle on a investi du temps mais également des tas de choses émotionnelles, prend la forme vers la fin de la thèse, et plus encore après, d'un partenaire maltraitant.

L'Université vous a accueilli en vous disant que vous étiez le/la meilleur.e. Quelqu'un de brillant avec pleins de possibilités, et qu'elle était chanceuse de vous voir entamer votre programme de doctorat en son sein.
(et hop, vous voilà amoureux/se)

Mais le temps passe, et vous avez passé tellement de temps à vous spécialiser dans un domaine pointu que vous en êtes venu à penser que l'Université/la Recherche n'est pas tant une possibilité d'épanouissement pour vous que LA SEULE possibilité d'épanouissement professionnel. Comme ces études sont très prenantes et enrichissantes, vous finissez par perdre de vue le monde non-universitaire que vous ne voyez plus que par le prisme de gens comme vous (apprentis chercheurs, docteurs, aspirants professeurs ou professeurs et chercheurs professionnels).
(Et vous voici progressivement coupé.e du monde, et des ressources qui vous permettraient de vous échapper d'une relation abusive.)

Ensuite, vous acceptez de vous plier à une série d'humiliations pour lesquelles l'institution fait preuve d'une inventivité sans cesse renouvelée. Vous devez expliquer en de longue lettres pourquoi vous sollicitez une nouvelle année d'inscription pour finir votre thèse et suppliez le département de vous l'autoriser (l'institution elle-même a réduit ou supprimé votre financement de recherche et vous impose des heures d'enseignement, temps que vous ne consacrez donc pas à votre thèse). Après la thèse, vous envoyez des dossiers de candidature pour des postes de professeur pour lesquels on ne juge même pas nécessaire de vous envoyer un courriel pour dire que vous n'êtes pas retenu. Vous postulez pour des post-doc (mal payé, sans possibilité d'avenir à long terme) et là encore, votre candidature se perd au milieu des 400 autres candidat.e.s.
(étape 2, la perte de l'estime de soi)

Essouflé.e par cette vie qui fait que vous abordez la trentaine fauché.e, sans pouvoir planifier un avenir et craignant que ça ne s'arrangera jamais (car vous suivez l'actualité de ce marché de l'emploi de la recherche, et nulle part vous ne voyez de lumière), vous envisagez de vous reconvertir, sans trop savoir comment ni dans quelle direction : l'institution universitaire vous a formé à des choses précises et intéressantes, mais pas du tout à les formuler pour les rendre attrayantes auprès d'un employeur. (perte d'autonomie)

Alors, l'Université vous offre un petit quelque-chose. Un court contrat d'enseignement ou de recherche, complétement dérisoire mais depuis l'état de déprime où vous vous trouvez, cela vous semble miraculeux. Vous prenez ça comme un avant-goût de ce que pourrait être votre travail si jamais vous étiez un jour embauché.
(un bouquet de fleur et la promesse que tout ceci va changer, promis promis)

Et comme vous adorez enseigner/chercher (vous l'aimez) que le monde extérieur est effrayant (vous êtes isolé.e) et que vous êtes persuadé.e que personne n'embauchera jamais quelqu'un d'aussi spécialisé que vous (de toute manière je suis tellement nul.le, personne d'autre ne m'aimera jamais), vous continuez à espérer être un jour embauché.e (que votre partenaire changera, et vous traitera comme vous le méritez) et laisser s'évaporer (jusqu'à la prochaine fois) vos velléités de reconversion...  »

Je vous accorde volontiers que ce tableau est -un peu- noir, mais je trouve que mon analogie fonctionne plutôt bien et au final, je trouve assez libérateur de pouvoir regarder la situation sous cet angle là. La Recherche a besoin de gens bien formés pour fonctionner, et c'est très bien. Les institutions de recherche traitent néanmoins actuellement cette population de docteurs & co comme une chair à canon. Je suis en partie admirative des gens qui trouvent l'énergie de poursuivre ce chemin de croix pour espérer trouver un emploi décent qui leur permettra d'exercer ce pour quoi ils/elles ont été formé. J'ai mauvaise conscience d'envisager de ne pas essayer de me lancer dans la course (pour pleins de raisons, mais entre autres le fait que les gens qui se retirent du jeu sont majoritairement des femmes, et je déteste voir ces garçons qui ne sont pas plus brillants que nous gagner grâce à un mélange d'arrogance et de défaut de compétition. Oui les structures patriarcales sont présentes dans le monde de la recherche comme partout ailleurs. Des gens écrivent des chroniques très bien documentées et parfaitement déprimantes sur le sujet, en voici une, c'est loin d'être le plus pessimiste).

Mais malgré ça, j'en viens vraiment à me dire que, en ce qui me concerne, plutôt que de me lancer là-dedans, je veux surtout sauver ma peau.
Sur ce je vais essayer d'écrire un morceau de mon chapitre, et puis réorganiser mon CV pour commencer à chercher un boulot hors du monde universitaire.




Oui, j'ai mis une image d'oiseau s'échappant de sa cage.
Vous pouvez me renier.

[Edit 6 juillet 2014 : Mon amie Marie m'a proposé de traduire ce texte en anglais. J'en suis vraiment flattée, et comme ce texte a un certain succès - il pulvérise tranquillement les modeste statistiques de ce blog - j'ai accepté. Vous pouvez donc trouver ici une version en anglais de ce réjouissant billet qui va donc nous permettre de pleurer sur nos vies en deux langues]


samedi 19 avril 2014

Je n'en peux plus des compilations de pub des 50's


Pour la 30e fois sur facebook je vois passer une compilation de pub des années 1920-1960. Elles sont clairement misogynes et racistes, et vous les avez tous et toutes vu passer plusieurs fois dans vos nouvelles facebookiennes :







En fait, il semblerait même que quelqu'un en ait fait un livre

JE NE PEUX PLUS VOIR CES F***ING PUB !!!

J'en peux plus de voir passer ces trucs là. Je comprend que les gens les partagent. Elles sont relativement jolies, un peu choquantes. L'esthétique des années 50 est à la mode (un effet ô combien ironique du succès de Mad Men) et puis surtout, elles nous rassurent. Elles nous montrent que le monde va mieux, que les choses progressent vers plus d'égalité et que, alors que des partis politiques conservateurs, racistes et/ou religieux prennent de plus en plus de place en occident, c'est rassurant. C'est d'ailleurs le commentaire qui surplombe le diaporama en lien ci-dessus : "Dur de croire qu’elles ne datent que d’une cinquantaine d’années! Bien qu’il y ait certainement encore place à amélioration en terme de marketing – surtout lorsqu’il est question de femmes -, on ne peut nier que d’énormes progrès ont déjà été faits."

(alors pour ceux qui en doutent, je vais dans les lignes qui suivent NIER que d'énormes progrès aient été fait. Je vais même mettre en doute que le moindre progrès en la matière ait été fait)

Une pub récente de American Apparel :

American Apparel, toujours la classe



 American Apparel est d'ailleurs régulièrement cité pour ses campagnes de bon goût. Puisque la compagnie continue, je pense qu'elle en fait son fond de commerce, et assume parfaitement la dimension sexiste, tendance pornographique, de ses campagnes de pub.

Mais la misogynie ne passe pas forcément par le fait de mettre une femme à poil sur une affiche. Il y a quelques semaines, cette publicité pour un fournisseur d'accès internet français est parut, et a été rapidement été incendiée sur twitter :





Et franchement, je ne vois pas de grande différence de principe entre cette pub-ci et celle-ci (que vous avez vu mille fois, aussi ) :




Alors non, les pubs actuelles ne sont pas dénuées de sexisme, ni même de misogynie.

Les pubs d'électroménager ont commencé à mettre des hommes nus sur les affiches, se disant que puisqu'on s'adressait désormais à des femmes dotées d'un minimum d'indépendance financière, c'était directement à elles qu'il fallait parler. Pourtant, j'ai du mal à voir un message vaguement égalitaire dans cette publicité-ci :


Parce que va savoir pourquoi, un mec qui passe l'aspirateur, ça concerne les femmes...


Quand au racisme, il n'a pas non plus disparu des publicité. En fait, c'est nettement plus insidieux. 

Dans les séries de pub "vintages" on trouve ce genre de choses :





Message sous-entendu : il n'y a que les sauvages pour ne pas porter nos chemises! De manière intéressante, on ne voit jamais des choses pareilles mises en scène dans Mad Men, cette série consacrée au monde la pub américaine dans les années 60. Je me demande si c'est parce que le racisme est devenu un tabou beaucoup plus fort dans notre société. En tout cas, quelque chose de vraiment pas présentable....

Mais c'est en fait bien plus pervers que ça. Déjà parce que la majorité des pubs qui s'adressent aux occidentaux ne mettent en scène que des mannequins blanc.he.s. C'est encore la manière la plus simple de rendre le racisme invisible, ne mettre en scène que des blancs. Mais faire disparaître les personnes victimes de racisme des écrans ne supprime pas le racisme... c'est une technique d'autruche, tout bêtement.

Et puis ensuite parce que la question de la bancheur et de la noirceur revient dans le discours publicitaire, généralement lié aux cosmétiques. Ici une campagne de Nivea, 2011 :





Cette pub de Nivea a été retirée, accusée de racisme. On se rappellera quand même qu'elle a été conçue, approuvée, imprimée, distribuée, et que ce n'est que sous la pression du public que le groupe a accepté de la retirer de la circulation et de présenter des excuses. Elle reprend les mêmes codes de civilisation, la coupe afro et la couleur sombre de la peau devant être laissée de côté, pour adopter une apprence plus... civilisée....

 Et puis, en cadeau, je vous offre en comparaison ces deux pubs reposant sur les mêmes ressorts racistes. Cette fois, la peau noire est tout simplement un synonyme de saleté, et la blancheur un objectif de propreté :









Le racisme et la misogynie n'ont pas disparu des affiches publicitaires. C'est même un lieu ou il s'ébat en toute liberté. Oui, certaines de ces campagnes ont été l'objet de critiques vives une fois mises sur le marché, et certaines ont été retirées. Peut-être est-ce dû à une sensibilité plus grande de notre société contemporaine à ces questions. Peut-être est-ce dû à la plus grande facilité de réaction des personnes via twitter, facebook, qui agissent plus efficacement et demandent moins d'investissement individuel que des campagnes d'affichage, l'écriture de lettres de plaintes etc...

La misogynie et le racisme des pubs d'il y a un demi-siècle nous saute aux yeux. Celui de notre époque nous échappe en partie. À chaque fois qu'une de ces campagnes déclenche une vague d'indignation sur twitter, au moins autant de personnes réagissent pour expliquer que non, ces campagnes ne sont pas misogynes ou racistes. Lorsque Mar_Lard a publié un dossier sur le sexisme dans le milieu des jeux vidéos, elle a été l'objet de centaines de commentaires lui expliquant que non, elle se trompait, ce n'était pas du sexisme.
Et souvent, ils le pensent vraiment, parce qu'ils identifient le racisme et la misogynie publicitaires à ces images du XXe siècle. Pas du tout à cette publicité pour console de jeu :




Et puis, au milieu de ces pubs qui suscitent l'indignation, au moins de militantes féministes, il y a toutes celles qui sont quotidiennes, qui sont moins évidentes :


maman cuisine, papa...n'est pas concerné par ces considérations matérielles visiblement



Je voudrais pouvoir aussi me réjouir de voir les publicités évoluer dans le bon sens. Se reposer, se taper dans le dos et être heureuses de voir les choses s'améliorer. Mais c'est se mentir. Et oui, c'est rabat-joie comme attitude, je sais.

Mais le bouquin qui a suscité mon énervement du matin s'intitule Les pubs que vous ne verrez plus jamais. C'est clairement de la publicité mensongère, parce que j'ai pas l'impression de voir des pubs si différentes que ça, aujourd'hui.

Ce post ne dit rien de nouveau, rien que vous ne pouvez trouver rédigés déjà des dizaines de fois sur internet, sur de bon blogs féministes, ou en suivant quelques personnes sur twitter. 
Si le sujet vous intéresse, je vous conseille la lecture de Beauté Fatale, de Mona Chollet. Il est intégralement disponible en ligne, mais vu l'intérêt de l'ouvrage, il vaut ses 18euros. Et ça aide à réfléchir sur les effets et dynamiques de la pub contemporaine, plutôt que de regarder, encore et encore, des images d'un monde qu'on rêve révolu.





mercredi 26 février 2014

Diversification de la procrastination

Mon plan "écrire la thèse en 8 mois sans rien faire d'autre" ayant, bien évidemment, lamentablement échoué, je suis encore et toujours plongée dans mon écriture. Je serais tentée avec le recul de voir énormément d'arrogance dans ce plan initial...ce qui me rassure c'est de voir d'autres collègues doctorants s'engager sur la même route avec le même aplomb... Apparemment c'est une étape du boulot... (la partie la moins sympathique de ma personnalité est jalouse de leur enthousiasme, et attend avec impatience leur chute..)

Mais histoire de reprendre mon souffle une fois de temps en tempe, je bricole..dans une version très "pinterestienne" du bricolage.
Du coup, le week-end dernier, devant écrire mes derniers chapitres, compléter un dossier de candidature pour un boulot et préparer un cours pour cet été, l'autruche en moi a pris le dessus. Bilan de la fin de semaine...




 En même temps mon lit manquait de coussins..Maintenant qu'ils sont terminés et s'accordent parfaitement aux murs et aux draps, je me dis qu'il faut que je change de couvre-lit... Des projets de vie importants donc..


 
Et puis du tricot, parce que vivre dans un pays ou il y a de la glace sur les vitres à l'intérieur (phénomène que je pensais impossible avant de vivre ici) encourage à se mettre au tricot. Encourage aussi à ignorer les photos de profil des gens qui sont au bord de la méditerranée, en février...avec à peine un pull...

Donc en 2 jours, un col tout bleu pour ma cousine, qui le recevra un jour, promis... Et j'ai commencé quelque chose en vert pour moi... (et oui, c'est tricoté devant l'ordinateur, avec toujours l'espoir qu'à un moment je vais subitement lâcher le tricot pour me remettre au travail...)






Je me suis aussi remise à faire des bijoux...parce que oui, j'ai besoin d'une soixante-et-une-ième paire de boucles d'oreilles...








 Et comme ce post me permet en en ce moment de ne pas travailler sur ma montagne de travail, je sens la culpabilité me travailler, et je vais donc retourner à mon Minotaure.







dimanche 10 février 2013

En pause pour cause d'écriture

Ce blog paraît à l'abandon, mais j'ai une super excuse : j'écris ma thèse!

Oui, pour de vrai, à ce jour, j'ai même des ébauches rédigées de mes 3 premiers chapitres (plus que 6...)
Du coup j'écris beaucoup, mais je m'interdit d'utiliser mon énergie d'écriture pour autre chose que la thèse (j'ai l'espoir fou de la finir en août)

Je reprendrais probablement le blog après (la période de chômage non rémunéré qui m'attend après le dépôt sera sans nul doute propice à l'écriture de nouveaux articles)

En attendant, bises aux 3 personnes qui passent ici de temps en temps, je vous revois à la sortie du tunnel de rédaction!

jeudi 23 août 2012

Les élections, l'abstention, et les campagnes ratées d'incitation au vote.

En ce moment, le Québec est en période électorale. 

Résumé des épisodes précédents :

Depuis février 2012, les étudiants sont en grève contre la hausse des frais de scolarité de 75% décrétée par le gouvernement libéral au pouvoir (Parti Libéral du Québec, dit PLQ). L'intransigeance du gouvernement, au lieu de tuer le mouvement, lui a permis de grossir et de devenir une crise sociale qui devrait faire date dans l'histoire du Québec. Mais, après des mois de mobilisation intense, la fatigue ainsi que la torpeur estivale ont fait baisser l'intensité du mouvement. C'est ainsi en plein cœur de l'été que le parti au pouvoir a décidé de déclencher des élections, histoire de trouver une issue qui lui soit plutôt favorable.

images piquée quelque part symbolisant la course électorale,
parce que ce billet manquait d'illustration.
 
Ah oui, précision : ici, c'est le parti au pouvoir qui déclenche à sa convenance les élections, sachant qu'un même mandat ne doit pas excéder 5 ans. C'est aussi le parti en place qui redéfinit les contour des circonscriptions électorales en fonction de l'évolution de la population depuis le scrutin précédent.Oui moi aussi je trouve que question démocratie et répartition des pouvoirs, c'est problématique (les contours des circonscriptions, ça se fait ailleurs, en France notamment. Mais au moins les élections sont à date fixe). Ajoutons à cela que la médiatisation de la campagne électorale est partiale, plus précisément qu'aucune loi ne règlemente l'accès aux médias des différents partis en course. Sachant qu'en France, alors que la loi encadre précisemment le temps de parole des différents candidats à une élections, les journalistes trouvent que c'est une insupportable atteinte à leurs droits et trouvent des moyens de tricher, quand on ne règlemente pas, ça donne la situation québécoise. Concrètement, cela signifie que cette année 4 des 6 partis (je dis, 6, mais je sais même pas si le parti vert du Québec existe ou si c'est une légende en fait..) en compétition ont pu s'exprimer lors du "Débat des chefs", et que seulement 3 de ces 4 partis ont pu intervenir lors des "duels" organisés sur la chaîne TVA pour couvrir la campagne. Oui, parce que faire confiance à des chaînes de télévision privées pour maintenir la diversité de idées démocratique, ça marche vraiment bien.

Vous avez donc l'ambiance, nous pouvons reprendre :

Nous sommes donc ici en pleine campagne électorale, le scrutin est le 4 septembre prochain. Les affiches des candidats et candidates fleurissent sur les poteaux dans la rue, et on ne parle plus du mouvement social mais des élections imminentes. Et on s'inquiète du taux de participation - souvent faible - de la population en général et des jeunes en particuliers.

voilà, ça ressemble à ça des affiches électorales québécoises

Précisons que dans les milieux ou je traîne ces temps-ci (étudiants, très à gauche, anarchistes pour certains ), on tient un discours trés sévère sur ces élections-ci et sur le système électoral en général (pardon, sur "l'électoralisme", je suis nouvelle, j'apprends le vocabulaire). Je vous conseille à ce propose le documentaire Anarchroniques, diffusé hier soir dans un parc montréalais. La bande-annonce est visible ici, et je ne désespère par de mettre la main sur le film complet un jour prochain. C'est conçu comme une introduction aux mouvements anarchistes et libertaires du Québec, c'est très intéressant. L'argument principal de ces militants abstentionnistes, c'est que le système de démocratie représentative n'est ni représentatif ni démocratique, et que tout les partis en jeux soutiennent le système politique, idéologique, tel qu'il existe, sans vouloir le changer, ni même l'imaginer. Au mieux, il s'agit de l'aménager pour qu'il soit plus vivable, ce qui, pour eux, ne peut être un but en lui-même.

Si la critique me semble sévère, elle commence néanmoins a susciter quelques échos chez moi. Le fait de ne pas pouvoir voter après avoir suivi et vécu le mouvement étudiant, sachant que le gouvernement élu aura des conséquences sur ma vie sans que je ne puisse rien y faire doit y être pour quelque chose...passons.

Où veux-je en venir avec cette -interminable- introduction ? J'étais ce matin dans le métro, et mon attention s'est porté sur les publicité qui ornent les murs des stations et des wagons. Des grandes photos, assez désenchantées, aux couleurs pas franchement joyeuses ont attirées mon attention. Ça change des images survitaminés qui poussent habituellement à consommer. Je regarde donc de plus prés ces photos de panneaux de circulations avec des flèches qui vont dans des directions différentes, chaise d'école abandonnée, ou encore sièges de wagons de métro. Elles sont ornées de textes au ton définitif :  "L'heure des choix" (sur les flèches de circulations) "les absents ont toujours tort" (sur une chaise d'école abandonnée). 
C'est la campagne de la direction générale des élections du Québec pour inciter les gens à aller voter.
Bien.

Je la trouve nulle.

Les photos sont tristes. Elles ont un côté ville désenchantée. C'est pas que cette esthétique me déplaise, mais elle me semble assez maladroite pour donner envie au citoyens de faire quelque chose. Je trouve que ça donne surtout envie de se cacher, de se retirer de ce monde triste, vide, qui nous est montré. 
Les images sont sensée s'adresser aux citoyens, elles déshumanisent le vote : pas un visage humain (ni même une main, un pied ou un quelconque morceau de corps humain)...On souhaite inciter des individus à voter en leur montrant des objets inanimés. Là encore, j'ai un doute sur l'efficacité du message.
J'ai dit que les couleurs étaient moches, je le maintien. Je vous renvoie à la page de la DGEQ pour voir la vidéo sensée donner à la population l'envie d'aller voter.
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ça c'est le temps que vous alliez voir
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Vous ne voulez pas vous asseoir dans une salle obscure sur des sièges miteux pour écouter quelqu'un vous dire quoi faire ? Non ?
J'avais pas dit que c'était triste à mourir? On commence avec une musique d'apocalypse et on explique que la démocratie est en danger parce que les gens ne votent plus, et puis on explique que voter c'est avoir un pouvoir immense : dire oui à certaines choses et non à d'autres... (c'est ébouriffant d'ambitions, approuver ou désapprouver des "choses") le tout sur des images instragram-esque que je trouve, vraiment, je me répète, moches. Et sombres en plus, avec des images qui brûlent, genre fin du monde désenchanté..Je sais bien qu'on a définitivement fait une croix sur les lendemains qui chantent, mais vraiment ? On espère mobiliser les gens avec un discours aussi déprimant et moralisateur ?

Et une chaise abandonnée au milieu de nul part ? Ça ne vous donne pas envie de participer ?

Jamais ces campagnes ne disent précisément quels sont les contours du pouvoir du vote. Le vote est vertueux en lui-même, c'est une morale contemporaine, preuve que la démocratie fonctionne quel que soit le parti pour lequel on vote, et quel que soit la manière dont ledit parti agit une fois élu. 
Le mouvement étudiant a répété pendant des mois que la démocratie ce n'était pas "voter une fois aux 4 ans" mais une action quotidienne. Cette campagne dit exactement le contraire : le vote c'est l'expression démocratique unique et ultime. 
Sauf qu'il existe des partis qui sont contre la démocratie (je pense aux néonazis grecs qui sont entrés au parlement lors des dernières élections, par exemple) voter pour eux c'est maintenir la démocratie en vie ? Vraiment ?
Il existe aussi des partis, ou des représentants de ceux-ci qui sont élus sur des idées et qui en appliquent d'autres une fois au pouvoir..dans ce cas là (tellement fréquent que je ne sais pas quel exemple donner. C'est devenu tellement trivial que la formule "les promesses électorales n'engagent que ceux qui les croient" est devenue une ligne de conduite politique) le pouvoir de l'électeur a consisté à être victime d'un mensonge et à n'avoir aucune possibilité de sanctionner celui qui a menti, une démocratie comme ça, c'est étrange qu'elle ne fasse pas plus rêver, et ne donne pas plus envie d'y participer non ?
La pire illustration de cette campagne, c'est cette image de deux sièges de métro qui se tournent le dos, et qui sont sensés illustrer les options qui s'offrent aux électeurs :



Nous sommes dans un train (ce sont des sièges du métro de Montréal) dont nous ne contrôlons pas la direction, et il nous revient de choisir si nous voulons aller dans cette direction en regardant dans le sens du train, ou en regardant dans le sens inverse. Mais quel pouvoir extraordinaire ! Choisir son siège ! Je sais pas ou va ce train et on ne me demande pas mon avis là dessus mais j'ai le droit que dis-je, le privilège, de choisir mon siège!! Telle que vous me voyez là, je me retiens de jubiler et je manque de défaillir d'enthousiasme!

Sans rire ? Les concepteurs de cette campagne se sont dit qu'avec une représentation aussi limitée du pouvoir que représente le vote ils allaient amener les électeurs à courir en masse vers les urnes ?? C'est ..euh.. risqué comme pari ?

Si on veut vendre le vote comme un outil de pouvoir, on met l'électeur dans la cabine de pilotage d'un avion. On lui donne le pouvoir et le contrôle non ? (décidément, la communication et le marketing me seront à jamais étrangers). À titre de comparaison, lors de la dernière campagne présidentielle française, on a pu voir ceci pour inciter au vote. 


Je ne sais pas pour vous, mais je trouve la mise en scène plus intelligente, avec tentative de représentation de la société française et renversement du pouvoir.

Et puis on pourrait même, folie, s'interroger sur les causes de l'abstention. Questionner la réelle représentativité du mode de scrutin en vigueur, faire la comparaison entre les programmes politiques et leur réalisation, s'interroger sur la pertinence d'avoir des élus qui font de le politique leur carrière et qui peut-être, en perdent un peu de vue les effets concrets de leur politique sur l'ensemble de la population etc...
Mais bon, tout ça c'est partisan et surtout, ça oblige à nuancer le propos. Alors que ordonner "vote!" aux gens qui passent devant une affiche, ça a le mérite de la simplicité.

Pour en revenir aux sièges du métro, on donnera ceci dit à cette image le crédit du réalisme, involontaire probablement mais ne faisons pas la fine bouche. Parce qu'après tout, il est vrai que lorsque les orientation de politiques générales sont données par des traités internationaux signés sans contrôle de la population les marges de manœuvre des gouvernements élus sont trop faibles pour infléchir le fonctionnement global de la société. En Amérique du Nord, l'ALENA définie les règles économiques, et ainsi le fonctionnement social. On peut aussi penser en Europe aux différents traités de l'Union Européenne, au hasard Lisbonne, adopté après que la première version du texte - Traité Constitutionnel Européen - ait été rejeté par trois pays par voie référendaire : la France, les Pays-Bas et l'Irlande. 

Tiens, peut-être que c'est ça qui contribue à l'abstention ? L'impression - ou la certitude - des électeurs que leur vote, qu'on leur présente comme une prise de pouvoir, n'a finalement que peu de valeur quand les cadres généraux de l'économie sont déterminés hors de leur contrôle ? Que leur vote n'est pris en compte que lorsqu'il entérine des décisions déjà prises ?
Euh, si la démocratie vivante à ressemble à ça, on pourrait peut-être l'achever et commencer autre chose non ? enfin moi je dis ça...
 Peut-être que lorsque les gouvernements eux-même n'accordent que peu d'intérêt à la volonté de leur population (cf. la manière dont le PLQ a ignoré les revendications étudiantes des derniers mois, au hasard) ils affirment à la population en question qu'elle ne compte pas, qu'ils n'ont pas besoin de son accord pour exister, pour gouverner.

En conclusion de tout ça, je précise que je ne souhaite pas décourager ceux qui le souhaitent d'aller voter. Je ne pense pour ma part n'avoir manqué aucun scrutin français ou européen depuis mes 18 ans (ah si, les dernières élections cantonales dont, soyons franche, j'ignorais l'existence). 
François Ruffin, dans Fakir, défend ici une position médiane , qui me plaît bien, entre le vote comme ultime et unique action démocratique et le refus complet du vote comme refus de cautionner le système en place. Je vous invite à aller jeter un œil, au passage vous pourriez découvrir un journal sympa.



Mais je me demande sincèrement qui pense que l'on peut convaincre les citoyens d'aller voter en se contentant de leur faire la morale, sans jamais tenter de comprendre pourquoi ils ne votent pas.

edit 31/08 : photos prises et intégrées à l'article.

Ne soyons pas totalement mauvaise langue, la petite fleur au milieu du béton avec le "ne jamais renoncer" est sympa. Mais enfin le reste...