mercredi 23 mai 2012

Le Thérapie de Choc appliquée au Québec


Je relis en ce moment La Stratégie du choc de Naomi Klein. J'avais d'ailleurs un jour promis un billet sur le sujet, ce sera celui-ci. Je suis frappée par les similitude entre ce dont elle parle, et ce que nous vivons en ce moment au Québec.

Rappel pour ceux qui n'ont pas suivi.

Depuis février, les étudiants québécois sont en grève contre l'augmentation des frais de scolarité. Une hausse de 75%, étalée sur 5 ans, est prévue par le gouvernement libéral du Québec.
Cette hausse drastique fait suite au dégel des frais scolarité entamé en 2007, dont il résulte qu'entre 2007 et 2012 les frais de scolarité ont augmentés de 500$. Elle mobilise les étudiants des universités, directement touchés, et des CEGEP (enseignement pré-universitaire), qui le seront bientôt.

Hier, 22 mai, une immense manifestation (On a entendu entre 250 000 et 400 000 personnes, beaucoup donc) célébrait les 100 jours de grève. Elle s'opposait aussi à la nouvelle loi spéciale 78, adoptée par le parlement québécois vendredi dernier. Cette loi 78 a pour objectif de briser le mouvement de grève étudiant en suspendant la session et réaménageant le calendrier scolaire, en limitant par la force le pouvoir des associations étudiantes, et en limitant la liberté de manifester.

La population (en tout cas une large partie) s'insurge contre cette loi injuste, et particulièrement contre les limitations du droit de manifestation, un droit fondamental.

Ce matin, dans le bus, je relisais donc La Stratégie du Choc, et j'ai eu la désagréable certitude que notre mouvement pourrait servir d'exemple à cette théorie.

La thèse de Naomi Klein se développe sur quelques 600 pages, que je conseille à chacun et à chacune de lire. Elle commence son récit là ou je me trouve actuellement, c'est-à-dire à l'Université McGill, à Montréal, au pied du Mont Royal.

Dans les années 50, la CIA finança les recherches d'un psychiatre, Ewen Cameron,  ayant pour objectif de soigner les personnes atteintes de désordres mentaux, en suivant une thérapie de choc.
Cette thérapie consiste à briser la personnalité malade de l'individu pour qu'une nouvelle personnalité, saine, puisse se reconstruire sur ce terrain vierge, sous surveillance du médecin. Briser une personnalité passe par des chocs électriques, des séances de privations sensorielles, des médicaments expérimentaux. Plus que de soigner, le but était recréer les personnalités :

«Une fois la "déstructuration complète" obtenue et la personnalité antérieure effacée de façon satisfaisante, la confrontation psychique pouvait commencer. Cameron faisait passer à ses patients des messages enregistrés, comme : "Vous êtes une bonne mère et une bonne épouse et les autres se plaisent en votre compagnie» En bon béhavioriste, il croyait fermement que les patients, s'ils absorbaient des messages figurant sur les bandes enregistrées, commenceraient à se comporter autrement. Sous l'effet combiné des électrochocs et des médicaments, les patients, réduits à un état quasi végétatif, n'avaient d'autre choix que d'écouter les messages qui passaient en boucle - de seize à vingt heures par jour, pendant des semaines. Il y eut un cas ou Cameron fit défiler un message pendant 101 jours d'affilés» (p.53)

Ces pratiques attirèrent l'attention de la CIA qui, en pleine Guerre Froide, était à la recherche de méthodes spéciales d'interrogatoire. Je vous laisse lire le chapitre pour obtenir les détails de cette collaboration. Au final, ce qui sera retenu sera l'utilisation du choc, de la désorientation, pour faire obtempérer un individu, un peuple, à quelque chose qu'il refuse et réprouve.

Les techniques mises au point par Cameron serviront ainsi à organiser des techniques "d'interrogatoire" au Guatemala, en Iran, au Vietnam, au Chili…
Les conséquences de chocs pareils sont aussi visibles à l'échelle d'un peuple :

«Au lendemain du 11 septembre 2001, la longue habitude qu'on avait de présenter des démentis plausibles fut mise au rencards. Les attentats terroristes contre le World Trade Center et le Pentagone provoquèrent un choc différent de ceux qu'on imaginait [dans les manuels d'interrogatoires], mais leurs effet furent remarquablement similaires : profonde confusion, peur et angoisses extrêmes, régression collective. À l'image d'un interrogateur qui s'érige en "figure paternelle", l'administration Bush ne tarda pas pas à exploiter cette peur pour camper le rôle du parent protecteur, prêt à défendre par tous les moyens "la patrie" et ses "enfants. vulnérables.» (p.69)

Et c'est sur ce passage, de l'individu à la société, que Naomi Klein construit son argumentation. Elle parle du Capitalisme du Désastre, c'est  à dire de ce système économique qui utilise le choc, la crise, pour faire admettre à des populations entières, par la force donc, un modèle de société qu'elles refusent en temps normal. De l'utilisation des crises pour permettre à des sociétés privées d'exploiter ce qui relève du domaine public.

Un autre docteur est présent dans la démonstration. Un docteur en économie cette fois, Milton Friedman. Friedman avait pour ambition de révolutionner les sciences économiques, de les rendre aussi respectable que les sciences exactes. Croyant en une économie qui doit se libérer de la présence de l'État pour fonctionner de manière idéale, il calque son approche sur celle de Cameron :

«Là ou Cameron projetait de de ramener l'esprit humain à cet état vierge primordial, Friedman envisageait de déstructurer les sociétés et de rétablir un capitalisme pur, purgé de toutes les ingérences - réglementation gouvernementale, entraves au commerce et groupes d'intérêt particulier» (p.80)

Ainsi, si pour le psychiatre il s'agissait de détruire la personnalité à coup de drogue et de techniques plus tard utilisées dans un contexte de torture, en économie, ce qu'il s'agit de détruire, c'était tout ce qui avait trait à la présence de l'État dans l'économie, pour que celle-ci puisse se reconstruire au mieux. Le marché, libéré de toute ingérence étatique, s'équilibrerait de lui-même, revenant à un état de nature originel et idéal.
La dimension religieuse de cette théorie économique, présentée par ses soutiens comme la vérité même, avec la conviction de fanatiques religieux, demeure quelque chose d'absolument impressionnant. Tout autant au moment ou cette théorie émerge, dans un monde qui donne une large place au Keynésianisme ou même au Marxisme, et ou la prétention de détenir la Vérité alors qu'il y a pluralité de système paraît délirante et terriblement prétentieuse. Mais encore aujourd'hui, après trois décennies d'application de cette doctrine. Lorsqu'on lit le bilan dressé dans l'ouvrage de Naomi Klein, on se demande comment cette vision du monde peut encore trouver des défenseurs.

L'ouvrage nous entraîne ensuite dans un déprimant et lucide voyage dans le temps et l'espace. Le Chili de Pinochet, l'Angleterre de Margaret Tatcher, la Bolivie des années 80, la Pologne, la Russie, la Chine et différents pays d'Asie du Sud-Est, l'Irak, bien sur, sans oublier la Louisiane d'après Katrina, ou le Sri-Lanka d'après le Tsunami : on se promène beaucoup, et l'auteure prend soin de nous montrer la construction mondiale de ce système économique, faisant apparaître les liens, autant personnels qu'idéologiques, qui le façonne.

Elle montre, pays après pays, crise après crise, comment celles-ci sont utilisées par des gouvernements, eux-même conseillés par des économistes adeptes de Friedman et de l'école de Chicago, pour mettre à terre ce à quoi les citoyens tiennent (accès au logement, à l'eau, à l'éducation, à un travail et surtout un salaire décent). Sous le coup d'une crise, les peuples sont, comme les patients du dr. Ewen Cameron, désorientés, effrayés. Ils ne réagissent pas rationnellement mais cherchent à survivre.

Ainsi, pendant que les habitants de la Nouvelle-Orléans cherchaient à se loger, se nourrir, à avoir accès  l'eau potable, ils n'ont pas pu s'organiser pour lutter contre la privatisation complète du système d'éducation.
Lorsque les pêcheurs victimes du Tsunami au Sri-Lanka étaient parqués dans des cabanes loin de la mer, ils n'ont pas pu lutter contre la construction de palaces cinq étoiles construits sur leur plage, désormais nettoyée par la vague de leur présence...

Quand les éléments naturels ne sont pas de la partie, ce sont des crises politiques, économiques, qui jouent ce rôle. La dictature chilienne fut le lieu d'immenses privatisations, de la confiscation de richesses nationales par une élite économique qui utilisa la terreur du régime pour que la population se soumette à ce qui ressemble beaucoup à un vol à grande échelle.

Dans les démocratie occidentales, les choses paraissent plus difficiles à faire admettre, on comprend alors comment Margaret Tatcher provoqua une guerre avec l'Argentine, pour déstabiliser la population, se poser en figure de Sauveur (ça se féminise ?) et ayant, grâce à cela, gagné son 3e mandat. Forte de sa victoire politique, elle privatisa de force le secteur de l'énergie, employant vis-à-vis des mineurs les mêmes mots qu'envers les argentins :

«Nous avons dû nous battre contre l'ennemi extérieur aux Malouines ; nous devons maintenant nous battre contre l'ennemi intérieur, qui est beaucoup plus coriace, mais tout aussi dangereux pour la liberté»(p.214).

L'automne dernier, en lisant cet ouvrage, j'ai eu l'impression de voir l'histoire de ces 30, 40 dernières années écrite sous un angle différent de celui que j'avais appris. J'ignorais comment Elstine avait attaqué le parlement Russe sous les applaudissement de l'Union Européenne, ce qu'avait été la guerre de Malouines ou, plus récemment, ce qu'avait été la suite de la vie en Asie du Sud-Est après le tsunami.

En 1982, Milton Friedman écrivit : «Seule une crise, réelle ou supposée, peut produire des changements». Je vous invite chacun, chacune, à réfléchir aux "crises" que nous vivons, et à tenter d'en voir l'utilisation politique qui en est faite.

J'ai commencé ce billet en parlant de l'actualité québécoise. J'aurais pu parler de la crise économique européenne qui, réelle ou supposée, sert en ce moment à dicter les politiques des états européens.
Les citoyens grecs, qui souffrent des plans de rigueurs et d'austérité qui leurs sont imposés au nom de la bonne santé du marché ont, le 6 mai dernier, votés massivement pour des partis anti-austérité. La presse internationale et les instances de l'Union Européennes, se sont empressées de mettre sous cette même bannière un parti néo-nazi (6%) et un parti de gauche radicale (18%).
Les élections n'ayant pas permis la formation d'un gouvernement, de nouvelles auront lieu sous peu. Le chef du parti de la gauche radicale, Alexis Tsipras, sera peut être bientôt le premier ministre de la Grèce, et s'est engagé à ce que la Grèce ne rembourse plus ses dettes et refuse les plans de rigueur. Hier, à la radio, j'entendais les membres des instances européennes proférer ce que l'on peut qualifier de menaces à l'encontre des grecs si ils ne votaient pas pour les partis qui défendent l'optique néolibérale. Menace de quitter l'Euro, d'être expulsés de l'Union Européenne, et probablement aussi que le ciel leur tombe sur la tête. La crise, le peur, le choc.

Mais c'est la situation québécoise que je vis en ce moment, alors je développe :

La loi spéciale qu'a fait voter le gouvernement, la fameuse loi 78, se divise en 3 parties. Elle suspend la session et réaménage le calendrier scolaire, elle limite par la force le pouvoir des associations étudiantes, et limite la liberté de manifester.

Elle limite le droit de manifester.
C'est ce sur quoi tout le monde se concentre, parce que c'est une attaque frontale à une liberté fondamentale. La loi exige désormais que pour toute manifestation de plus de 50 personnes, que les organisateurs communiquent à la police, 8h à l'avance, la duré de la manif, le nombre de participants, l'itinéraire ainsi que les moyens de transports.
C'est nouveau, jusqu'à présent les manifestation québécoises pouvaient être spontanée. Tout organisateur/trice d'une manifestation illégale s'expose à des amendes de plusieurs milliers de dollars, et demeurent responsables si la manifestation devient en cours d'évènement illégale.

Elle réorganise le calendrier scolaire en suspendant les sessions de celles et ceux qui étaient en grève à la date du passage de cette loi. Pour les membres de ces associations étudiantes, les cours ne reprendront qu'en août. La date sera fixée par le gouvernement et l'établissement d'enseignement, et non pas à la date de la fin e la grève, décidée par les étudiants et les étudiantes, lors de leurs assemblée générale. La loi nous ôte ainsi le pouvoir la grève, puisqu'elle fait disparaître notre moyen de pression.

Elle limite par la force, les libertés des personnes qui agissent dans les établissements d'enseignement, à savoir les étudiants, leurs associations et les professeurs.
En effet, si une association étudiante a toujours le droit de se déclarer en grève, elle ne peut en aucun cas encourager ses membres à respecter cette décision votée en assemblée générale. Elle doit au contraire les inciter explicitement à respecter la loi et même à se rendre en cours.
Si les cours sont perturbés, soit par des piquets de grève, soit par l'absence d'étudiants et d'étudiantes, l'enseignant doit donner son cours quelque soient les conditions. Il ou elle doit de plus signaler au département toute entrave, tout ralentissement à son enseignement, ou il/elle s'expose à une amende personnelle de 7 000 à 35 000$. Si le département ne fait pas suivre l'information au ministère, l'amende prévue se monte entre 65 000 et 125 000$.
Si l'association n'a pas, par tout les moyens explicite, encouragé ses membres à respecter la loi, elle est passible de la même amende que le département. Les membres élus de l'association, rebaptisés "administrateurs" par une loi se situant tout à fait dans une perspective d'économie libérale, s'exposent individuellement  à des amendes de 7 000 à 35 000$.
De plus, si l'association est reconnue coupable, s'ajoute à l'amende une peine potentiellement plus dure : pour chaque journée ou demi journée de perturbation, l'association perd un trimestre de cotisation. Le nombre de trimestres ou les associations verraient ainsi leurs fonds coupés peut dépasser la date d'expiration de la loi spéciale (juillet 2013). Si une association fait faillite, et qu'une nouvelle association renaît pour défendre les mêmes étudiants, la nouvelle association héritera des dettes de la précédente.

En rendant les associations coupables par omission, et en faisant tout pour tuer tout principe de solidarité entre professeurs et étudiants, le gouvernement du Québec met tout en œuvre pour casser le mouvement étudiant actuel. Mais il met en place de quoi le tuer à long terme, assurant aux gouvernements des prochaines décennies qu'ils pourront poursuivre l'entreprise de destruction de l'université sans rencontrer l'opposition des étudiants : ceux-ci auront perdus les structures qui leur permettent de s'organiser.

Les limitations drastiques au droit de manifester concentre l'essentiel des critiques et des réactions. Ces jours-ci, à Montréal, on manifeste pour le droit de manifester. C'est normal, on touche là à une liberté minimale en démocratie. Toutefois, je fais ici me livrer à une hypothèse qui nous ramènera à Naomi Klein.

Tout d'abord, n'oublions pas l'origine du mouvement étudiant. Il s'agit de contester une augmentation de 75% des frais de scolarité. Derrière cette hausse, il y a le projet de désengagement de l'État dans l'éducation supérieure, et la volonté de faire admettre le principe de l'utilisateur-payeur. Chacun d'entre nous devrait envisager ses études comme un investissement personnel, dont la valeur serait équivalente à la somme d'argent dépensée pour en bénéficier, et non au temps ou aux efforts que nous y mettons.
Le fait que la majorité des étudiants devrait pour "investir" dans leur avenir, s'endetter lourdement auprès d'institutions financières privée n'est finalement que logique : il s'agit de faire se soumettre chacun, chacune, à la loi du marché, et quoi de mieux pour soumettre un peuple que de le lier à des remboursements bancaires infinis ?
C'est donc un mouvement anti-néolibéralisme que nous avons construit.

Mais avec la loi spéciale, le gouvernement entre directement dans le propos de l'ouvrage. Depuis 15 semaines que nous sommes en grève, rien n'a été fait par le gouvernement pour régler la crise. Pendant les 9 premières semaines, nous avons été ignorés. Puis la ministre a accordé une première table de négociation, à condition toutefois que le CLASSE condamne la violence. Puis, après que celle-ci eut obtempéré, l'a éjecté des négociation sous un prétexte quelconque. Quoi de mieux pour faire grossir un mouvement social que de le traiter par le mépris ?

Petit point informatif sur la fameuse CLASSE :
La CLASSE est un des trois syndicat étudiants nationaux. Il s'agit de la Coalition Large de l'Association pour une Solidarité Syndicale Étudiante. Elle représente 50% des grévistes. Il s'agit de l'organisation la plus à gauche des trois organisation nationale (les deux autres étant la Fédération des Étudiants des Universités du Québec -FEUQ- et la Fédération des Étudiants des Collèges du Québec - FECQ).
C'est la seule organisation qui conteste la hausse des frais de scolarité non pas parce que c'est trop d'un coup, mais parce qu'elle milite pour la gratuité scolaire, et un vrai changement des valeurs de la société.
C'est aussi une organisation qui fonctionne en démocratie directe, c'est-à-dire que les exécutants du bureau national ne peuvent prendre aucune décision engageant le mouvement sans consulter au préalable les exécutants et exécutantes des associations membres, réuni(e)s en Congrès. Celles-ci ont préalablement tenues des assemblées générales.
C'est ce qui donne toute sa force, je pense, à notre mouvement, et explique que celui-ci ne se soit pas essoufflé. On peut convaincre quelques individus, fatigués, après une négociation, de signer un accord éloignés de leurs revendications premières. Mais lorsqu'il faut une semaine pour consulter tous les membres du mouvement, les esprits se calment, la peur, la désorganisation, ne jouent plus aussi efficacement. C'est, je pense, en raison de ce caractère particulièrement subversif de la CLASSE, que le gouvernement à décidé d'en faire sa bête noire depuis le début du conflit.

De nouvelles négociations ont eu lieu quelques jours plus tard. Elles ont consisté en 22h de discussions non-stop, au terme desquelles un accord à soumettre aux assemblée fut conclu : la hausse des frais de scolarité restait inchangée (en fait, elle est passée de 75 à 82% au cours des semaines de grève, mais n'entrons pas ici dans les détails techniques) mais les étudiant-e-s allaient pouvoir, au sein d'un conseil ou ils/elles obtiendraient 4 sièges sur 19, prouver au reste de l'assemblée, constituée des recteurs d'universités, de représentants du ministère et du "monde des affaires", que l'on pouvait gérer les universités de manière plus sérieuse et faire baisser la facture étudiante en s'attaquant, non pas aux frais de scolarité, mais aux autres frais qui s'ajoutent à la facture sous forme de frais de dossiers, frais technologiques ou encore frais administratifs.
Cet accord :
- s'appuyait sur un organisme encore non-existant, qui n'était astreint à aucune garantie de résultat,
- inscrivait dans le marbre l'augmentation des frais de scolarité,
- laissait les étudiants seuls face à des directions d'université qui réclament toujours plus d'argent, et non plus en position de discuter avec un gouvernement élu, qui leur doit démocratiquement des comptes,
- isolait le fonctionnement de l'Université du reste de la société, puisqu'il ne créait aucun mécanisme de financement à long terme,
- légitimait, enfin, la présence du "monde des affaires" dans l'Université.

Toutes les assemblées générales encore en grève à ce moment là ont voté contre cette proposition.

Depuis, plus aucune négociation n'a eut lieu. La ministre Line Beauchamp a présenté sa démission, et la loi spéciale est entrée en vigueur.

Nous avons commencé une grève, le gouvernement à créé la crise. Aucun d'entre nous ne pensait que la grève durerait autant. Personne ne se serait engagé là-dedans. Mais, à mesure que le gouvernement ne manifestait que mépris, que les manifestations pacifiques étaient très violemment réprimée par la police, nous sommes devenus déterminés.

Pendant que la lutte contre les restriction du droit à manifester s'organise, il serait bon se rappeler que cette loi à pour effet de provoquer chez chacun et chacune d'entre nous un choc. De nous révolter, de nous désorienter, et de nous faire oublier des combats essentiels.

Je fais le pari, j’émets l'hypothèse, que la loi 78 sera appliquée avec parcimonie concernant la question de la liberté de manifestation. Les 250 000, 300 000 personnes qui ont marché hier dans le centre-ville de Montréal n'ont pas respectés le trajet distribué à la police de Montréal. Pourtant, aucune arrestation n'a eu lieu à ma connaissance. Elle pose un autre problème, qui est celui des violence policières, puisque cette loi chuchote à l'oreille des policiers "allez-y, taper fort, l'État vous soutien", mais cela participe à la volonté de faire naître chez la population un état de choc.

Je crains en revanche que les deux autres aspects de la loi seront appliqués avec beaucoup plus d'attention, ne serait-ce que parce que cela fera moins de bruit.
Le but est de désorganiser le mouvement étudiant à long terme. Des associations en faillite ne renaîtront pas avant 20 ans. Entre temps, toute une génération passera par l'Université en s'y endettant, et n'y développera en contrepartie aucun esprit de groupe, aucun sentiment d'appartenance. Je ne parle pas du sentiment d'appartenance à l'institution, celui qui fait porter des chandails rouges de McGill ou bleus de l'Université de Montréal, parfois bêler des chants ridicules, ou encore de la joie d'avoir sa photo en toge dans les couloirs du département.
Je parle de l'impression d'appartenir à un groupe aux intérêts intellectuels et politique convergents. Sans une association, même dépourvue de ses moyens d'action politique, ou rencontrer ses collègues ? Ou organiser un ciné-club, ou des soirée bières ou l'on peut se parler et se rendre compte qu'on n'est pas seuls ? À qui s'adresser en cas de conflit avec un-e professeur-e ? Quelle structure nous permettra d'être plus que les clients de l'Université que ce gouvernement, que les recteurs, rêvent de nous voir devenir ?
Le gouvernement utilise notre indignation légitime sur la question des manifestation pour agir sur le long terme, et détruire quelque chose de précieux.

Tout dépendra bien sûr de la manière dont les différents aspects de la loi seront appliquée. Il serait extrêmement bienvenu, de la part du parti qui espère gagner les élections prochaine contre le pouvoir actuellement en place, la Parti Québécois, pour ne pas le nommer, de s'engager à une loi d'amnistie pour toutes les victimes de la loi 78. En attendant que celle-ci soit jugées anticonstitutionnelle, ce qui peut prendre 5 à 6 ans,  ce serait une manière digne de débarrasser le Québec des effets de cette loi honteuse.

En attendant la suite des évènements, je conseille à tous et à toute de lire Naomi Klein si ce n'est pas déjà fait, d'essayer de mettre la situation que nous vivons actuellement en perspective. Depuis vendredi dernier, mettre de la distance critique et ces événements et moi, lire pour ça et voir le plus de monde possible, c'est ce que j'ai trouvé pour ne pas pleurer.

Bonus informations :

Vous êtes loin et vous voulez voir les choses de prés ? Heureusement, internet est là pour vous!

- Sur twitter, #GGI (pour grève générale illimitée) ; #manifencours (pour suivre les manifs qui ont lieu tous les soirs) ou encore #casserolesencours (depuis 3 jours, on tape sur des casseroles le soir, étudiants, familles, enfants, tout le monde. Pendant 30 min..2h...Montréal sonne)

Hier soir, au coin de Saint-Denis et Beaubien.


- CUTV, la télévision des étudiants de l'Université Concordia. Ils diffusent en direct les manifs du soir (je suis devant ce soir en retravaillant ce billet)
- Pour des textes creusés sur les différents aspects de la gréve, le site des profs contre la hausse.
- Voir les gens qui ont décidés de désobéir à la loi spéciale, c'est sur le site arrêtez moi quelqu'un.

edit 29 mai :
Et pour celles et ceux qui n'ont pas le temps ou l'énergie de se lancer dans une telle lecture, je viens de trouver cette émission de Là-bas si j'y suis sur le sujet, avec un entretien avec Naomi Klein.

2 commentaires:

  1. Intéressant.
    On m'avait décrit le premier livre de Naomi Klein, "No Logo", comme un fouillis mal structuré plein d'affirmations non-démontrés.
    Ce n'est de toute évidence pas ton diagnostic pour La Stratégie du Choc. Qu'en penses-tu au niveau du style et de la documentation?

    Moi aussi, je crains beaucoup les dispositions de cette loi sur les associations. Elles sont prodigieusement dangereuses, et ce, d'autant plus que les gens ne s'en rendent pas compte!

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  2. J'ai pas lâché la stratégie du choc du moment ou je l'ai ouvert. J'ai peut-être zappé un ou deux chapitres vu qu'au bout d'un moment tu comprend la démonstration.
    Mais No Logo, j'ai pas réussi, fouillis mal structuré est peut-être un peu sévère, mais plutôt vrai.

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