@rrêt sur images nous propose cette semaine une très belle émission sur l'état de la recherche en France que je vous invite vraiment à aller voir (comment ça vous n'êtes toujours pas abonnés ?). L'équipe s'interroge dans le texte de fabrication de l'émission sur le besoin d'y inviter des contradicteurs, mais je trouve vraiment que la discussion entre des gens qui partagent le même constat sur l'état de l'Université et de la Recherche permet de vraiment creuser les aspects de la question plutôt que de perdre du temps à répondre à ce qui aurait pris la forme d'une langue de bois politique. Bref, excellente émission, elle est ici.
Si, pendant 1h15, on discute de l'avenir de la Recherche en France, peu de temps est consacré au devenir des gens qui ont été formés comme chercheurs. Je comprends bien qu'il s'agit d'un autre sujet d'émission mais, comme ce sujet me touche de près, je me suis permis de poster un commentaire-fleuve sur le forum et, comme je suis assez contente de ma métaphore filée, je me suis dit que j'allais le re-poster ici, en éditant (la majorité des) fautes de frappe et d'orthographes qui émaillent mon texte (ce qui ne fait pas sérieux pour quelqu'un qui achève sa 11e année d'études universitaires....)
Le texte posté sur le forum, donc :
« Sur la précarité du monde de la recherche, je vois aussi autour de moi des gens qui ont achevé leur doctorat et qui recherchent un emploi à l'université ( J'arrive à la fin de ma thèse et je suis au Québec). J'en viens à me dire, en nous observant courir après des petits boulots de recherche mal payés que ces recherches d'emploi s'apparentent à des relations abusives.
L'Université, lieu où on a passé plusieurs années de nos vie, institution dans laquelle on a investi du temps mais également des tas de choses émotionnelles, prend la forme vers la fin de la thèse, et plus encore après, d'un partenaire maltraitant.
L'Université vous a accueilli en vous disant que vous étiez le/la meilleur.e. Quelqu'un de brillant avec pleins de possibilités, et qu'elle était chanceuse de vous voir entamer votre programme de doctorat en son sein.
(et hop, vous voilà amoureux/se)
Mais le temps passe, et vous avez passé tellement de temps à vous spécialiser dans un domaine pointu que vous en êtes venu à penser que l'Université/la Recherche n'est pas tant une possibilité d'épanouissement pour vous que LA SEULE possibilité d'épanouissement professionnel. Comme ces études sont très prenantes et enrichissantes, vous finissez par perdre de vue le monde non-universitaire que vous ne voyez plus que par le prisme de gens comme vous (apprentis chercheurs, docteurs, aspirants professeurs ou professeurs et chercheurs professionnels).
(Et vous voici progressivement coupé.e du monde, et des ressources qui vous permettraient de vous échapper d'une relation abusive.)
Ensuite, vous acceptez de vous plier à une série d'humiliations pour lesquelles l'institution fait preuve d'une inventivité sans cesse renouvelée. Vous devez expliquer en de longue lettres pourquoi vous sollicitez une nouvelle année d'inscription pour finir votre thèse et suppliez le département de vous l'autoriser (l'institution elle-même a réduit ou supprimé votre financement de recherche et vous impose des heures d'enseignement, temps que vous ne consacrez donc pas à votre thèse). Après la thèse, vous envoyez des dossiers de candidature pour des postes de professeur pour lesquels on ne juge même pas nécessaire de vous envoyer un courriel pour dire que vous n'êtes pas retenu. Vous postulez pour des post-doc (mal payé, sans possibilité d'avenir à long terme) et là encore, votre candidature se perd au milieu des 400 autres candidat.e.s.
(étape 2, la perte de l'estime de soi)
Essouflé.e par cette vie qui fait que vous abordez la trentaine fauché.e, sans pouvoir planifier un avenir et craignant que ça ne s'arrangera jamais (car vous suivez l'actualité de ce marché de l'emploi de la recherche, et nulle part vous ne voyez de lumière), vous envisagez de vous reconvertir, sans trop savoir comment ni dans quelle direction : l'institution universitaire vous a formé à des choses précises et intéressantes, mais pas du tout à les formuler pour les rendre attrayantes auprès d'un employeur. (perte d'autonomie)
Si, pendant 1h15, on discute de l'avenir de la Recherche en France, peu de temps est consacré au devenir des gens qui ont été formés comme chercheurs. Je comprends bien qu'il s'agit d'un autre sujet d'émission mais, comme ce sujet me touche de près, je me suis permis de poster un commentaire-fleuve sur le forum et, comme je suis assez contente de ma métaphore filée, je me suis dit que j'allais le re-poster ici, en éditant (la majorité des) fautes de frappe et d'orthographes qui émaillent mon texte (ce qui ne fait pas sérieux pour quelqu'un qui achève sa 11e année d'études universitaires....)
Le texte posté sur le forum, donc :
« Sur la précarité du monde de la recherche, je vois aussi autour de moi des gens qui ont achevé leur doctorat et qui recherchent un emploi à l'université ( J'arrive à la fin de ma thèse et je suis au Québec). J'en viens à me dire, en nous observant courir après des petits boulots de recherche mal payés que ces recherches d'emploi s'apparentent à des relations abusives.
L'Université, lieu où on a passé plusieurs années de nos vie, institution dans laquelle on a investi du temps mais également des tas de choses émotionnelles, prend la forme vers la fin de la thèse, et plus encore après, d'un partenaire maltraitant.
L'Université vous a accueilli en vous disant que vous étiez le/la meilleur.e. Quelqu'un de brillant avec pleins de possibilités, et qu'elle était chanceuse de vous voir entamer votre programme de doctorat en son sein.
(et hop, vous voilà amoureux/se)
Mais le temps passe, et vous avez passé tellement de temps à vous spécialiser dans un domaine pointu que vous en êtes venu à penser que l'Université/la Recherche n'est pas tant une possibilité d'épanouissement pour vous que LA SEULE possibilité d'épanouissement professionnel. Comme ces études sont très prenantes et enrichissantes, vous finissez par perdre de vue le monde non-universitaire que vous ne voyez plus que par le prisme de gens comme vous (apprentis chercheurs, docteurs, aspirants professeurs ou professeurs et chercheurs professionnels).
(Et vous voici progressivement coupé.e du monde, et des ressources qui vous permettraient de vous échapper d'une relation abusive.)
Ensuite, vous acceptez de vous plier à une série d'humiliations pour lesquelles l'institution fait preuve d'une inventivité sans cesse renouvelée. Vous devez expliquer en de longue lettres pourquoi vous sollicitez une nouvelle année d'inscription pour finir votre thèse et suppliez le département de vous l'autoriser (l'institution elle-même a réduit ou supprimé votre financement de recherche et vous impose des heures d'enseignement, temps que vous ne consacrez donc pas à votre thèse). Après la thèse, vous envoyez des dossiers de candidature pour des postes de professeur pour lesquels on ne juge même pas nécessaire de vous envoyer un courriel pour dire que vous n'êtes pas retenu. Vous postulez pour des post-doc (mal payé, sans possibilité d'avenir à long terme) et là encore, votre candidature se perd au milieu des 400 autres candidat.e.s.
(étape 2, la perte de l'estime de soi)
Essouflé.e par cette vie qui fait que vous abordez la trentaine fauché.e, sans pouvoir planifier un avenir et craignant que ça ne s'arrangera jamais (car vous suivez l'actualité de ce marché de l'emploi de la recherche, et nulle part vous ne voyez de lumière), vous envisagez de vous reconvertir, sans trop savoir comment ni dans quelle direction : l'institution universitaire vous a formé à des choses précises et intéressantes, mais pas du tout à les formuler pour les rendre attrayantes auprès d'un employeur. (perte d'autonomie)
Alors, l'Université vous offre un
petit quelque-chose. Un court contrat d'enseignement ou de recherche, complétement dérisoire mais depuis l'état de déprime où vous vous trouvez, cela vous semble miraculeux. Vous prenez ça comme un
avant-goût de ce que pourrait être votre travail si jamais vous étiez un
jour embauché.
(un bouquet de fleur et la promesse que tout ceci va changer, promis promis)
Et comme vous adorez enseigner/chercher (vous l'aimez) que le monde extérieur est effrayant (vous êtes isolé.e) et que vous êtes persuadé.e que personne n'embauchera jamais quelqu'un d'aussi spécialisé que vous (de toute manière je suis tellement nul.le, personne d'autre ne m'aimera jamais), vous continuez à espérer être un jour embauché.e (que votre partenaire changera, et vous traitera comme vous le méritez) et laisser s'évaporer (jusqu'à la prochaine fois) vos velléités de reconversion... »
(un bouquet de fleur et la promesse que tout ceci va changer, promis promis)
Et comme vous adorez enseigner/chercher (vous l'aimez) que le monde extérieur est effrayant (vous êtes isolé.e) et que vous êtes persuadé.e que personne n'embauchera jamais quelqu'un d'aussi spécialisé que vous (de toute manière je suis tellement nul.le, personne d'autre ne m'aimera jamais), vous continuez à espérer être un jour embauché.e (que votre partenaire changera, et vous traitera comme vous le méritez) et laisser s'évaporer (jusqu'à la prochaine fois) vos velléités de reconversion... »
Je vous accorde volontiers que ce tableau est -un peu- noir, mais je trouve que mon analogie fonctionne plutôt bien et au final, je trouve assez libérateur de pouvoir regarder la situation sous cet angle là. La Recherche a besoin de gens bien formés pour fonctionner, et c'est très bien. Les institutions de recherche traitent néanmoins actuellement cette population de docteurs & co comme une chair à canon. Je suis en partie admirative des gens qui trouvent l'énergie de poursuivre ce chemin de croix pour espérer trouver un emploi décent qui leur permettra d'exercer ce pour quoi ils/elles ont été formé. J'ai mauvaise conscience d'envisager de ne pas essayer de me lancer dans la course (pour pleins de raisons, mais entre autres le fait que les gens qui se retirent du jeu sont majoritairement des femmes, et je déteste voir ces garçons qui ne sont pas plus brillants que nous gagner grâce à un mélange d'arrogance et de défaut de compétition. Oui les structures patriarcales sont présentes dans le monde de la recherche comme partout ailleurs. Des gens écrivent des chroniques très bien documentées et parfaitement déprimantes sur le sujet, en voici une, c'est loin d'être le plus pessimiste).
Mais malgré ça, j'en viens vraiment à me dire que, en ce qui me concerne, plutôt que de me lancer là-dedans, je veux surtout sauver ma peau.
Sur ce je vais essayer d'écrire un morceau de mon chapitre, et puis réorganiser mon CV pour commencer à chercher un boulot hors du monde universitaire.
Oui, j'ai mis une image d'oiseau s'échappant de sa cage.
Vous pouvez me renier.
[Edit 6 juillet 2014 : Mon amie Marie m'a proposé de traduire ce texte en anglais. J'en suis vraiment flattée, et comme ce texte a un certain succès - il pulvérise tranquillement les modeste statistiques de ce blog - j'ai accepté. Vous pouvez donc trouver ici une version en anglais de ce réjouissant billet qui va donc nous permettre de pleurer sur nos vies en deux langues]
Merci pour cette chronique - et donc le commentaire sur le forum - très intéressant. Sachant qu'à cela s'ajoute toutes les heures d'enseignement payée au lance pierre (un ami avait fait le calcul : entre les heures de préparation du cours, le cours et les longues heures de correction, cela donnait un équivalent entre 1 et 2 € de l'heure pour les vacataires !), donc les heures d'enseignement payées au lance pierre (mais obligatoires !) défiant toute la législation sur le droit du travail (normalement payé au plus tard, le 10 du mois suivant et non 4 à 8 mois plus tard...). Les exemples sont nombreux et vous les connaissez aussi bien que moi...
RépondreSupprimerDonc merci !
Une Doctorante en France
Saisissant !
RépondreSupprimerC'est "drôle", j'avais pensé à ces différentes dimensions mais pas à l'analogie qui les englobe.
Bonne continuation (et puis, on peut continuer à aimer son amour plus que son.sa partenaire…).
Merci, voilà enfin une façon de pouvoir expliquer ce qui m'est arrivé à ma famille, dont certains membres n'ont toujours pas compris pourquoi je ne suis pas devenue professeur à l'université...
RépondreSupprimerBonjour
RépondreSupprimerPuisque ce post a du succès je voudrais en profiter pour donner qq conseils. D'abord quand on fait une thèse, toujours se demander ce qu'on va en faire, parce qu'une thèse c'est aussi un moyen de se faire un petit réseau, y compris hors de l'université, surtout si on "fait du terrain". L'histoire du 18e siècle permet de connaître le monde du musée ou des monuments historiques ; la linguistique peut ouvrir sur des outils numériques, de la traduction ou autre bref il n'y a guère de discipline qui ne soit ancrée dans d'autres professions qu'universitaires - mieux vaut profiter de la thèse pour regarder un peu de ce côté-là, au cas où... Par ailleurs mener une thèse du début à la fin implique la mobilisation de compétences de gestion de projet qui peuvent être utiles dans d'autres professions - à condition de les mettre en valeur ! L'organisation de colloques idem, qui sait organiser un colloque sait budgéter, faire de la com etc. c'est-à-dire bien d'autres choses que le travail de recherche proprement dit. Voilà des compétences utiles hors de la recherche ! A condition d'en parler et de savoir en parler... Du côté de l'université, faire une thèse est trop souvent conçue comme une fin en soi (Acquérir le Savoir), indépendamment d'un contexte très engorgé, qui tourne en effet à la (mauvaise) loterie... Au moins ce devrait être dit dès le départ... On peut aussi penser à quelques réformes, bien sûr demander des postes, mais pas seulement