En 2009, l'excellente émission La Fabrique de l'Histoire, présenté par le géniallissime Emmanuel Laurentin (je rêve de bosser pour cette émission, ne lésinons donc pas sur les superlatifs flatteurs, des fois que quelqu'un passe par ici en recherchant une chroniqueuse pour France Culture), l'excellente émission de France Culture donc, fêtait ses dix ans.
Cinq jours pas semaines, vers 9 h du matin, pendant environ une heure, la radio parle de l'histoire telle qu'elle se fabrique, et la fait sortir des universités et centres de recherche pour rendre son actualité accessible à tous, via la radio publique. Je suis, bien évidemment, complètement fan.
En général, il y a un thème par semaine, traité sous forme d'interview, de documentaire ou encore de débat historiographiques contemporains. Les interviews sont brillantes, les documentaires souvent très bons (mais je suis déjà une grande convaincue des documentaires radiophoniques), et les débats historiographiques donnent à la thésarde l'impression qu'il existe des personnes, hors de son cercle d'amis, qui argumentent sur des questions d'histoire : c'est très réconfortant.
Les vendredis sont mes jours préférés. Ils sont consacrés à l'actualité de l'histoire. L'émission de vendredi dernier (que j'écoutais cet après-midi en photographiant mes archives) faisait une critique détaillée, et contextualisée, du procès Barbie, à l'occasion de la sortie des DVD dudit procès, coédité par ARTE et par l'INA. Un peu plus tôt dans l'émission, il était question de la manière dont le gouvernement hongrois actuel réécrit son histoire de la Seconde Guerre mondiale.
Et puis les vendredis commencent par l'inconnu des archives. Depuis septembre dernier en effet, tout les vendredis (vous avez bien saisi de quel jour de la semaine il s'agit hein ? Parce que je suis surement capable de le redire encore 3 ou 4 fois d'ici la fin de cet article) commencent par quelques minutes laissées à un historienne (ou une historien, c'est au choix) pour nous parler de quelqu'un d'inconnu, qu'il/elle a trouvé dan ses archives. L'idée a connu un bel engouement, et une page a été ouverte sur le site de la Fabrique ou chacun peut laisser à sa guise un ou une inconnus rencontrés lors de ses propres recherches. Chaque semaine, l'animateur nous donne le nombre d'inconnus arrivés sur le site, je pense qu'on doit en être à une soixantaine.
Vous pouvez aller les lire, ce sont de petites notices biographiques, un peu écœurant si l'on en consomme trop d'un coup, mais c'est plutôt touchant. Un de mes regrets c'est de ne pas être capable d'en fournir une (mes archives sont vraiment trop lacunaires pour que j'arrive à retracer la vie d'un des malades de mes hôpitaux, d'une fille enfermée, ou même d'une religieuse hospitalière, tous sont bien trop discrets), surtout que ces différents inconnus vont fournir de la matière à « quelque chose » courant mai. Que sera ce « quelque chose » ? Mystère et boule gomme ! Mais l'an dernier, la même émission avait fait aussi « quelque chose » de sa chronique régulière « à quoi sert l'histoire ? »
Oui parce qu’en fait, c'est de ça que je voulais vous parler à la base. J'ai acheté tout à l'heure ceci :
C'était pour les 10 ans de l'émission (dont je parlais plus haut, avant de me laisser emporter par ma description), une quarantaine d'historiens acceptaient de répondre, en 4 minutes, à la question qui donne des pulsions de violence aux étudiants en histoire « À quoi sert l'histoire aujourd'hui ? ». Là, j'en entends certains me répondre avec enthousiasme « à faire parler les cons ! » Certes, (vous connaissez bien vos classiques) mais en l'occurrence, on a décidé de faire parler une quarantaine d'historiens (dont Arlette Farge, Jacques Le Goff ou Michelle Perrot, excusez du peu) qui nous offrent ici arguments et réponses à cette grande question, avec intelligence, gravité et souvent humour (car l'historien est, comme chacun sait, doté d'un solide sens de l'humour, nécessaire à sa survie dés qu'il met un pied hors de l'Université).
L'humour de Christophe Pochasson lui permet de mettre en scène sa chronique, en la plaçant dans un bistrot, ou un groupe d'habitués, « les historiens » s'écharpent pour répondre à la question du patron du bar Chez Fernand, l'histoire à quoi ça sert ?
Jean-Noël Jeanneney décide quant à lui de répondre à la Cyranno, « je veux dire sur tous les tons :
Superficiel : tant de gens aiment tellement la revue gala qu'ils rêvent de la projeter autrefois et de savoir enfin si Marie-Antoinette et Fersen sont allés, un soir d'été, jusqu'au bout de leur désir. Vive l'histoire !
Désabusé : notre monde est si désespérant qu'une fuite s'impose, loin en arrière, le plus loin possible, vers un âge d'or imaginaire. Vive l'histoire !
Désinvolte : tant d’intrigue et tant de romans. La réalité dépasse la fiction, et même si Clio m'a abusée et m'a prise dans ses rêts, j'aurais passé, grâce à elle, un bien bon moment. Vive l'histoire !
Pusillanime : l'historien est si bien au chaud dans sa tour d'ivoire, loin des brutalités de la planète, qu'on ne lui fera jamais grief des jugements les plus sévères et les plus péremptoires sur ceux qui s'y sont exposés, jadis et naguère. Vive l'histoire !
Cynique : Clio a un magasin une quantité incroyable d'anecdote et de citations où chacun peut puiser à loisir au service de n'importe quelle cause, et lui en savoir gré sans inconvénient pour elle. Vive l'histoire !
Patriotique : comme l'a dit Gabriel Monod, fondateur de la revue Historique : “l'histoire travaille, d’une manière secrète et sûre, à la grandeur de la patrie”. Vive l'histoire !
Et très sérieuse, Claire Lemercier nous rappelle qu'elle sait bien qu'il n'y a pas de leçons de l'histoire, “mais je sais aussi que si les historiens se taisent, tous les pouvoirs, tous les groupes de pression et tous les Éric Zemmour du monde les tireront à leur place.” Rappel pas du tout inutile à mon humble avis.
Ça coûte 13€, c'est édité par France Culture chez Bayard, et c'est drôlement bien. Courrez donc l'acheter, ou, à défaut, abonnez-vous aux émissions de la Fabrique, ça, c'est gratuit.
Claire Lemercier exprime exactement ce que je pense. En fait, j'avais dis presque la même chose dans le séminaire d'historiographie. À quelqu'un qui disait que l'histoire était absente du débat public, j'avais répondu que les historiens l'étaient, mais que l'histoire, elle, elle est partout.
RépondreSupprimerJ'ai aussi remarqué que les gens se demandent bien à quoi sert l'histoire, mais que si on n'aborde pas la question sous cet angle, si on se met à raconter, alors ils écoutent, fascinés.
Pour moi, ces observations règlent la question.