(Comment ça mes titres sont nuls ?)
Ciel bleu, grand soleil, neige blanche encore toute belle de la tempête d'hier. Sous mon manteau, mes deux écharpes et mon bonnet (il fait -27°C !!!!), mes écouteurs et mon iPod. Dans mes oreilles, ceci.
L'émission Du Grain à Moudre pose une question a priori intéressante pour toute âme un tant soit peu féministe, la place des femmes dans les révolutions d'Afrique du Nord, et leurs places dans les sociétés en construction.
J'entame dont les 7 minutes de marche qui séparent mon appartement du métro guillerette à l'idée d'un débat intéressant. Sur cette courte distance, je me suis arrêtée 3 fois, tellement les termes du débat et les questions posées par l'animateur me paraissaient stupides ou, plutôt, empreintes d'un bon vieux paternalisme occidental. Et le paternalisme quand on parle de féminisme, moi je suis pas fan. Plutôt que de râler dans mon coin, je vous fais partager mon énervement.
Quelques points pénibles rien que dans le chapeau (texte disponible sur le site de l'émission) :
— Est-ce que c'est bon pour les femmes ?
Dans la mesure où cette révolution a été menée, à ce qu'on a pu en lire, par l'ensemble de la population, sans distinction de genre, on peut supposer que les hommes comme les femmes trouvaient le régime précédent pour le moins insatisfaisant. À partir de là, j'imagine que les femmes trouvent que c'est plutôt mieux pour elles — et pour eux — de changer de régime.
— Le régime précédent avait accordé un certain nombre de droits aux femmes, ne risquent-elles pas de les perdre ?
Déjà, un régime politique n'accorde JAMAIS gratuitement et out of the blue des droits à une population minoritaire/opprimée. Les droits s'obtiennent par la lutte, qui peut parfois prendre uniquement la forme de débat démocratique, mais c'est rare, puisque par définition, les opprimés ont peu d'accès aux instances de décisions.
Les noirs américains n'ont pas obtenu la fin de l'esclavage, puis de la ségrégation par la générosité du gouvernement américain (voir ici et là).
Les conditions de travail des ouvriers se sont améliorées à la suite de grèves importantes, pas grâce à la générosité des employeurs.
Le droit à l'avortement en France a été obtenu certes grâce au combat de Simone Veil, mais aussi, et surtout grâce aux actions de mouvements comme le MLF ou le MLAC (Mouvement pour la Libération de l'Avortement et de la Contraception.), qui ont posé le problème sur la place publique.
C'est pareil pour les Tunisiennes, comme le rappelle d'ailleurs une des intervenantes du débat. La question du droit des femmes a donné lieu à un intense débat sur la place publique, et dans le monde politique. Si ces différentes avancées ont certes pu se faire grâce à un pouvoir politique plutôt progressiste, elles ont toutes des racines bien plus profondes, et ne sont pas des cadeaux faits gratuitement aux dominé-e-s.
Ensuite, si les Tunisiennes bénéficient d'un statut plus enviable que celui de leurs voisines Égyptiennes ou Marocaines, on ne parle pas d'égalité. Et ça, l'égalité, d'abord légale, puis réelle, ce n'était pas vraiment au programme de Ben Ali. A priori, dans le cadre démocratique qui peut émerger après cette révolution, elle a bien plus de chance de se produire.
— À propos du nombre de femmes en politique en Tunisie, 27 % au parlement tout de même, soit plus qu'en France : « Certes, ces promotions, comme toutes les autres sous la dictature de Ben Ali, dépendaient du bon vouloir du Prince. Mais que faut-il redouter le plus ? Le despotisme éclairé, avec son arbitraire, ou la revanche des archaïsmes religieux, longtemps réprimés ? »
J'avoue que celle-là est assez géniale, et je me suis exclamée à voix haute dans la rue « Non, mais c'est pas possible ! » en l'entendant (déclenchant quelques regards de la part de passants d'ailleurs...).
C'est vrai quoi, elles avaient une dictature corrompue qui leur donnait quelques droits, pourquoi ne pas s'être battue pour garder ce système ? Pas de liberté d'expression, de la prison politique, de la torture, qu'est-ce que c'est quand on à le droit de siéger dans un parlement fantoche, franchement ? Parce que maintenant qu'ils doivent ce gouverner tout seuls, ces idiots d'Arabes ne peuvent QUE mettre en place une dictature religieuse, rétrograde pour lafâme, et elles vont bien regretter le temps ou, sous Ben Ali elles avaient le droit d'avorter ou de voter (mais pas d'hériter hein, faut pas déconner non plus).
Le fait que justement, les femmes tunisiennes soient majoritairement éduquées, et aient bénéficié d'un statut plutôt libéral, constitue pour elles une motivation pour s'impliquer dans la construction d'un nouvel état, et aller plus loin, vers l'égalité, et, en conséquence, un rempart, contre des mouvements extrémistes, ne semble pas venir à l'idée du journaliste, trop occupé à s'inquiéter pour elles, à penser pour elles...
Quant aux Égyptiennes, il semble que c'est en bonne partie parce qu'elles sont exclues de la vie politique qu'elles souhaitent un changement de régime. Fou non ?
Honnêtement je ne sais pas par quel bout il faut prendre cette phrase... déjà la certitude que cette révolution démocratique et non religieuse (pas un seul drapeau vert dans les manifestations, comme le rappelle une intervenante) ne pourra que déboucher sur une dictature islamique, c'est incroyablement méprisant pour cette population qui s'est battue pour mettre son dictateur à la porte. On ne peut certes jurer de rien, et il n'est pas exclu qu'à l'euphorie révolutionnaire succède la terreur (on a déjà vu ça), mais on ne pourrait pas, au minimum, leur accorder le bénéfice du doute ?
Quant aux archaïsmes religieux « depuis longtemps réprimés », est-ce justement le fait qu'ils aient été mis en sourdine n'aurait pas abouti à ce qu'ils aient une faible emprise sur la population ? Et que donc, s’ils parviennent à une nouvelle visibilité dans le champ démocratique, cela ne signifie pas obligatoirement qu'ils seraient largement représentés ? Après tout, la France a la joie de posséder dans son éventail de partis politiques le Front national — ouvertement xénophobe — le Mouvement pour la France de Philippe de Villiers — catholique plus que traditionnel — ou encore le Mouvement Nationale Républicain de Bruno Mégret — extrême droite nationaliste. Personne ne conteste toutefois sérieusement à la France le statut de démocratie... De la même manière, les États-Unis voient prospérer sur leur sol des extrémistes religieux qui militent pour l'enseignement exclusif du créationnisme à l'école, et organisent des camps de vacances pour endoctriner les enfants. Ces groupes religieux avaient leurs entrées à Washington sous l'Administration Bush. Bien qu'on ait pu parler ici ou là de gouvernement religieux, personne n'est allé jusqu'à remettre en cause la nature démocratique du gouvernement des États-Unis.
Plus loin dans le débat, on arrive à la question du voile, et là aussi, ça mérite qu'on s'y attarde. Mais ça fera l'objet d'un autre billet parce que l'on change un peu de sujet (et je devrais être en train de bosser là...)
Cela dit, je vous conseille l'écoute du débat. D'une part parce que les trois intervenantes sont vraiment intéressantes (Nadia Chaabane , enseignante membre du Collectif national pour le Droit des femmes, signataire de la pétition pour ne pas exclure les femmes de la révolution tunisienne, Hélé Béji, écrivaine et essayiste, Nahla Chahal, sociologue, chercheuse au Arab Reform Initiative), et que leurs propos contredisent et nuancent intelligemment les idées reçues émises par l'animateur. D'autre part parce que cette position de Brice Couturier, qu'elle soit sincère ou bien mise en scène pour les besoins du débat, met en évidence tous les réflexes colonialistes occidentaux.
Preums!
RépondreSupprimerJoli billet, C.
RépondreSupprimer"Les noirs américains n'ont pas obtenu la fin de l'esclavage, puis de la ségrégation par la générosité du gouvernement américain (voir ici et là)."
Pour la ségrégation, je suis bien d'accord, mais pour l'esclavage, j'étais naïvement resté sur l'idée que c'est Lincoln qui l'a aboli. J'erre ou tu t'es laissée emportée? ;)
"on ne pourrait pas, au minimum, leur accorder le bénéfice du doute ?"
Alors là, entièrement d'accord. D'ailleurs, je pense que
1- il n'y a pas de progrès sans le droit à l'erreur
2- les Frères Musulmans seront toujours plus populaires à l'opposition qu'au pouvoir. À supposer qu'ils y parviennent, on y gagnera probablement qu'ils se fassent détester des Égyptiens.
@ aigueau : possible que je me suis emportée..je fouille un peu et je te reviens là-dessus plus tard!
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