jeudi 15 septembre 2011

Pourquoi Colonel Reyel nous prend pour des poires, démonstration en 2 parties 7 sous-parties.


La chanson Aurélie, du chanteur Colonel Reyel,  fait en ce moment ce qu'il convenu d'appeler un buzz. Comme je manque totalement d,originalité, j'y contribue en ajoutant mon bourdonnement à la foule.
Si vous n'étiez pas en France cet été, ou que vous vivez sans regarder la télé ni écouter la radio, vous pouvez mettre à jour vos connaissance en cliquant sur «play» : 




Bon, on va passer sur la qualité musicale du morceau, qui me semble être une sombre bouse et qui a l'extraordinaire capacité de rester dans le crâne après une seule écoute. Cela suffirait à rendre ce morceaux détestable, mais ce qui nous intéresse ici, ce sont les paroles, et le message. En effet, la chanson est accusée de faire de la propagande anti-avortement. 
Le scénario est le suivant : l'héroïne de la chanson éponyme, Aurélie, est accidentellement enceinte à 16 ans. Contre l'avis de ses parents et de son entourage, elle décide de mener sa grossesse à terme. 
Le chanteur se défend de soutenir un tel point de vue, et assure que le but de son propos n'est pas d'aborder la question de l'avortement, mais de «briser un tabou», celui de la maternité adolescente heureuse.

À la première écoute, les paroles de la chanson semblent mesurées, et l'accusation de propagande pro-vie exagérée. Toutefois, comme mes lecteurs sont des gens intelligents, ils savent que lorsque que quelqu'un parle de «briser un tabou», si possible «courageusement», on peut parier que ce qui suivra sera une belle affirmation bien réactionnaire. Comment démêler le vrai du faux ? Avec de bonnes vieilles méthodes apprises justement à 16 ans : l'analyse de texte. 

Nous allons donc ici détailler pourquoi ce cher Colonel se fiche ouvertement de notre pomme (je sais, je viens de tuer le suspense)


1 - utiliser les techniques des mouvements pro-vie.

La ligne de défense de Colonel Reyel, c'est affirmer que son texte ne condamne pas l'avortement, mais met en valeur le choix : dans son scénario, Aurélie choisi librement, malgré la pression de ses parents, d'avoir un enfant. Ce faisant, il reprend exactement les termes des mouvements pro-vie.

a- le choix d'un vocabulaire biaisé.

D'une part, l'utilisation d'un vocabulaire biaisé : Aurélie «attend un enfant» au lieu d'être enceinte. Elle veut qu'on l'appel «maman» et on parle de «donner la vie».
Lorsqu'on affirme à une femme enceinte que, même si grossesse en est à son tout début, elle est déjà mère, qu'elle porte un enfant et qu'elle se trouve en position de donner la vie, on lui dénie tout droit au choix : quelle femme accepterait sereinement de «donner la mort» en «tuant l'enfant» dont elle est déjà «la mère» ? 
On notera également que si l'auteur emploi des euphémismes pour parler de la grossesse ou de l'accouchement, il est en revanche très direct lorsqu'il s'agit de l'autre choix : jamais on ne parle d'interruption de grossesse, encore de l'aspect volontaire que peut revêtir cette intervention : jamais on ne parle d'IVG, mais toujours d'avortement.

L'usage de ce vocabulaire exclu la notion de choix, et pose dés les premiers mots l'idéologie dans laquelle s'inscrit ce texte.

b- l'isolement de la jeune fille

Ensuite, on présente l'entourage de la jeune fille comme des pressions. Ses parents, ses amis, «lui conseillent l'avortement» mais, lorsqu'elle refuse de suivre ce «conseil», elle se retrouve à la porte de chez elle. 
Un conseil suivit de telles conséquence n'est pas un conseil, mais une pression, un chantage. 
Le chanteur ne franchit jamais la ligne jaune en disant expressément que l'avortement c'est mal. Mais dans ce texte, tout ceux qui pensent que pour une jeune fille de 16 ans, avoir un enfant n'est pas une bonne idée, sont systématiquement désavoués. En revanche, Aurélie est glorifiée et renforcée dans son choix - elle triomphe de toutes les galères, son choix «est la plus belle chose qui soit». 

Discréditer l'entourage de la femme enceinte est une technique des mouvement pro-life «Votre partenaire ou les membres de votre famille peuvent être favorable à la solution de l’IVG, mais il est utile d’en parler à quelqu'un « en dehors »  qui n'est pas pris dans l'émotion d'une grossesse non planifiée.»[citation extraite du site ivg.net, qui, sous couvert d'un site national portant sur l'IVG est en réalité une vitrine pro-life, dont la manipulation est brillamment exposée ici.]


c - le choix des sentiments contre le pragmatique

On n'entendra pas, dans la chanson, les arguments de l'entourage de la jeune fille. On aura en revanche la position d'Aurélie, qui n'est étayée que par la sensation «d'être prête», sensation détachée, donc, de toute situation économique ou sociale. 
Dans cette perspective, devenir mère est une expérience transcendante, qui dépasse les contingences du monde matériel, ce qui semble un peu trop loin de la réalité pour être un point de vue neutre.

Enfin, chaque refrain (qui reste bien en tête) nous rappel que si Aurélie n'avorte pas, c'est parce que «elle voit les choses autrement». Si plusieurs personnes - parents et amis -  défendent la position de l'IVG, elle est seule à défendre son point de vue, qui est présenté comme un choix personnel, libre de toute influence. Un choix difficile à faire, de surcroît, puisque personne n'est de son côté. 

Aurélie est seule : elle devient une héroïne, martyre et courageuse. Lorsqu'elle refuse de suivre les «conseils» de ses parents, elle se retrouve à la rue : son statut de martyre est alors renforcée, et l'inhumanité de son entourage est alors exposée au grand jour : d'abord ils la poussent à avorter, puis ils refusent de l'aider. Ils sont rattrapés in-extremis dans le clip lorsque la jeune mère sonne chez ses parents, son bébé dans les bras. Émus, ceux-ci l'accueillent à bras ouverts : triomphe là encore des sentiments.

d- laisser croire l'ouverture au débat

Le dernier couplet de la chanson dit ceci :

«Voilà ce que je dirais si je devais donner mon avis,
Mettre un enfant au monde ne devrais pas être punis,
C'est la plus belle chose qui soit et si tu le nies,
C'est que tu n'as rien compris»

Le premier et le quatrième vers illustrent la mauvaise foi du chanteur : «si je devais donner mon avis » sous entend qu'il n'a, depuis le début de la chanson, exprimé aucun avis mais une suite de fait bruts. 
Or, il ne s'agit pas travail journalistique, mais d'une fiction dont il est l'auteur. À ce titre, du premier au dernier vers, ce sont ses idées qui sont exprimées. 
Cette position de fausse neutralité, qui le mettrais dans la position d'un juge rendant son verdict après exposé des faits - position extrêmement valorisante donc - est totalement contredite par la fin du paragraphe «Si tu le nie, c'est que tu n'a rien compris».

Le chanteur fait mine d'ouvrir le débat,  en ne donnant «que» son avis, mais il le ferme définitivement en discréditant toute critique éventuelle par ce «tu n'as rien compris». Colonel Reyel est donc bel et bien un manipulateur.
Faire mine d'ouvrir le débat pour refermer violemment la porte est également une technique des provie. Plutôt que de monter des actions frontalement opposées à l'avortement, ils préfèrent donner l'impression du choix et se placer dans une posture de conseil. Le site ivg.net, cité plus haut, se présente ainsi comme une structure de conseil et s'en donne toutes les apparences visuelles. Cependant, le fond est univoque : l'IVG est présentée comme une option à éviter, présentation à charge des conséquences que peut avoir un avortement dans la vie d'une femme etc... le tout présenté, bien sur, dans un souci affiché «d'information».



Cette chanson ne se pose pas expressément contre l'avortement. En revanche, elle glorifie l'autre option, c'est à dire le fait d'avoir un enfant, quel que soit l'âge ou la situation économique de la femme. Considérer que ces deux points de vue peuvent coexister sans se heurter relève au mieux de la naïveté.

Même si c'était un choix de vocabulaire accidentel, on n'aborde pas un tel sujet lorsqu'on est un chanteur à succès chez les adolescentes, sans peser chaque mot de son texte. Au mieux, c'est irresponsable. On notera avec intérêt que le clip avec paroles est en ligne sur le site provie-france.


2 - Colonel Reyel valeureu défenseur des mères adolescentes : Du bien beau story-telling

a - Réécrire le réel

Quel donc cet «avis» que le chanteur nous enjoint à partager avc lui sur la situation d'Aurélie ? Il st explicitement exprimé dans le dernier couple : «Mettre un enfant au monde ne devrait pas être punis».
Le chanteur répète, à longueur d'interview, qu'il cherche avant tout à défendre les mères adolescentes.

Il semble ici nécessaire de rappeler que, dans ce pays, avoir un enfant n'est nullement «puni». La politique française concernant la natalité se traduit par un certain nombre d'aides publiques, allant du congé maternité à la possibilité de congé parental en passant par des avantages fiscaux concédé aux parents : et c'est très bien comme ça. Il est important et nécessaire que l'État s'implique dans le monde de la petite enfance. 
De plus, les cocoricos qui résonnent tout les ans à l'Assemblée Nationale lorsqu'on y annonce notre taux de fécondité hors normes en Europe, laissent entendre que la maternité est très bien vue en France. L'injonction de maternité, que subissent de plein fouet les nullipares trentenaires, confirme cette impression. Il y aurait d'ailleurs là un véritable tabou à briser : celui des femmes qui décident de ne pas avoir d'enfant, et qui vivent très heureuses de leur choix. Mais bon, ce n'est pas le sujet ici. (Pour celles et ceux que ça intéresse, lire ici et )

b- Des arguments de pacotilles

Il y aurait pourtant de véritables manières d'aider les jeunes mères. Les structures sociales qui aident à assumer ce choix se délitent. Les maternités ferment alors que les naissances augmentent. Les places en crèches sont rares, les assistantes maternelles également, et tout ceci représente un budget non négligeable. Les écoles maternelles subissent de plein fouet les réductions des effectifs actuels dans l'enseignement. Enfin, lorsque les femmes cessent de travailler pour élever leurs enfants, leur retraite est amputée d'autant, sans compter les difficultés supplémentaires qu'elles rencontrent lorsqu'elles doivent à retrouver un emploi.
Colonel Reyel n'aborde aucune de ces questions. Une manière de soutenir les jeunes mères isolées pourrait être de dénoncer la faiblesse de ces structures qui, en permettant aux femmes de faire garder leurs enfants à moindre frais, leur ouvre la possibilité d'occuper un emploi. Non pas parce que le travail est quelque chose d'épanouissant (cette blague!) mais parce qu'il permet d'obtenir un salaire, et de garantir à ces femmes une indépendance.

Il pourrait également aborder la question de la reprise d'études à l'âge adulte. Dans un pays ou le diplôme prime sur l'expérience au moment de l'embauche, les cours du soir et les aménagements du temps d'étude sont quasiment inexistants. Reprendre ses études à temps partiels est compliqué, à la fois parce que les aménagement d'emploi du temps, à l'université par exemple, sont marginaux, et parce que le public reste majoritairement celui de la fac : des jeunes adultes n'ayant connus que les études. Y trouver sa place lorsqu'on a fait autre chose de sa vie est difficile, et peut mener à l'abandon pur et simple du cursus entamé. Militer pour la valorisation des parcours professionnels ou pour l'aide à l,accès aux études à l'âge adulte pourrait être une manière efficace et concrète d'aider ces jeunes filles. Pourtant, là encore, pas un mot.

Le chanteur préfère rester sur la vision bucolique qui consiste à «donner la vie» parce qu'on s'y «sent prête», comme si on pouvait vivre hors du monde réel, que celui-ci n'avait aucune incidence sur nos vies. Or, c'est faux. De bons sentiments ne suffisent pas à vivre, et encourager ces jeunes filles qui «se sentent prêtes» sans exposer en détail les situations auxquelles elles risquent d'être confrontées est irresponsable.

c - Non, avoir recours à l'IVG en 2011 en France n'est pas aisé

En affirmant «briser un tabou», Colonel Reyel laisse entendre que, si la grossesse adolescente est absente du débat public, la promotion et l'accès à l'IVG y serait très présente.

Rappel légal : depuis 1975, la loi sur l'Interruption Volontaire de Grossesse, dite loi Veil, fait de la femme enceinte la seule apte à décider si elle souhaite interrompre ou poursuivre sa grossesse. Il lui est demandé un délais de réflexion de 7 jours entre la première consultation et l'interruption de grossesse. l'IVG doit être effectuée dans les 12 premières semaines d'aménorrhées, 14 semaines depuis la modification de la loi en 2001.

Nous avons une belle loi. Même si les délais sont dans la moyenne basse des pays de l'Union Européenne, le texte considère les femmes comme des adultes, et il ne leur est demandé aucune autorisation, comme celle de leur époux, d'un psychiatre (Espagne) ou encore de l'évêque (Allemagne). [ref. Xavière Gauthier, Naissance d'une liberté]

Pourtant, ce texte comporte une faille : il s'agit de la clause de conscience. En effet, «aucun médecin n'est tenu d'effectuer une IVG» au cas ou cet acte heurterait ses convictions philosophiques, morales ou religieuses. Les femmes peuvent donc en effet prendre la décision d'interrompre leur grossesse comme elle le souhaite, mais si les médecins refusent, que faire ?
Certes, la loi oblige un médecin qui refuse de pratiquer des IVG à référer la patiente à un confrère ou une consœur qui lui/elle, pratique des IVG. Mais le nombre de médecins faisant jouer cette clause est en constante augmentation, et, mathématiquement, ceux qui pratiquent des IVG voient leurs planning surchargés, et les délais d'attentes augmenter... jusqu'à parfois dépasser la limite légale.

Cette clause de conscience est critiquée, mais elle ne disparaît pas de la loi (à se demander si, par hasard, les médecins catholiques ne seraient pas plus représentés à l'assemblé nationale que les femmes enceintes, mais c'est un autre sujet). 
Si je le pouvais, je proposerais cet amendement à la loi : «aucun médecin n'est tenu de pratiquer une IVG, sauf si il est gynécologue».
Un psychiatre ou un radiologue est un médecin. Toutefois, la gynécologie ayant peu de chance de faire partie du quotidien professionnel de ces praticiens, on peut légitimement supposer que leurs connaissances sur le sujet sont rapidement dépassées une fois les études terminées. Dans un tel cas de figure. J'avoue trouver rassurant que l'on ne puissent pas légalement obliger ces médecins à pratiquer des IVG.
Cependant, les gynécologues qui se spécialisent dans «l'étude de l'organisme féminin et de son appareil génital» ne devraient pas pouvoir se dérober. Interrompre une grossesse concerne la gynécologie, tout autant que le fait de suivre une grossesse jusqu'à son terme, ou encore de proposer une contraception adaptée. À ceux qui me rétorqueront que l'on peut choisir de devenir gynécologues pour «mettre des bébés et monde et pas l'inverse», je répondrais que ce n'est pas en option. En choisissant la spécialité gynécologie, on s'engage pour tout ce qui concerne la vie reproductive d'une femme, et cela peut inclure l'avortement. Si l'avortement pose un problème éthique au futur gynécologue, il est peut-être temps de changer de se concentrer sur la gynécologie gériatrique ou de choisir une autre spécialité parmi la vingtaine existante. (et puis ce ne sont pas les médecins qui "mettent au monde" les bébés. Ce sont les femmes qui accouchent. simple rappel)


En conclusion...

En ne franchissant jamais la ligne jaune de la condamnation express de l'avortement, Colonel Reyel s'affiche en vertueux défenseur des mères adolescentes. Pourtant, en faisant usage des mêmes méthodes que les mouvements pro-vie, il donne du poids à leur discours. Chanteur à succès chez les adolescentes (voir les commentaires sur son site) il porte, comme toute personne qui prend la parole dans l'espace publique, la responsabilité de ses propos.
Loin de défendre les mères adolescentes, il ne leur propose, avec cette chanson, qu'un texte sucré sans aucune implication sociale, ni aucune perspective d'émancipation. Aurélie ne peut espérer, au mieux, que de rentrer chez elle, à l'abri dans le cocon familial de ses parents. 
Bref, soit le chanteur se paye notre tête en feignant ne pas comprendre ce qu'on lui reproche, soir il a, comme cela a déjà été affirmé, la capacité d'analyse d'un bulot.
En parlant de bulot, Jeanne Cherhal répond en chanson à Colonel Reyel (pour comprendre le lien avec le bulot, il faut cliquer sur la vidéo)



Et enfin, après avoir parlé des site provie dans le cœur de l'article, voici ici une liste de liens utiles et non partisans (non partisans s'entendant comme sans lien avec un parti politique) sur les questions abordées :
le planning familial, qu'on ne présente plus.
- le site de Martin Winckler, truffé d'informations sur la contraception et sur le droit au choix.
Zone Zéro Gêne, mine d'informations sérieuses et légères sru totu ce qui tourne autour du sexe, tenue par la trés compétente Marie Gaëlle Zimmerman.
IVG Je vais bien merci, dont j'ai déjà parlé ici, qui affirme haut et fort qu'avorter n'est pas obligatoirement un drame dont on ne se remettrais pas.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire