En réfléchissant à comment je me suis organisée ces sept dernières années pour venir à bout (presque) de la thèse, je me suis dit que je pouvais aussi partager les miennes.
Au début du doctorat, j'ai essayé de limiter l'usage du papier. Pas tant par conscience écologique, ou par amour fou du support informatique. Plutôt parce que la thèse a été faite en cotutelle entre la France et le Québec, que je savais que j'allais faire beaucoup d'aller-retour entre les deux, et que le kilo de bagage en avion coûte cher. J'avais fait ça déjà pour la maîtrise : apprendre de ses expériences passées.
Le temps des lectures
J'avais donc commencé à prendre mes notes de lecture dans des documents Word, empilé dans des dossiers, et puis j'ai fait connaissance avec un logiciel tout neuf à l'époque, l'éléphant vert de Evernote (billet non sponsorisé, promis). Ce logiciel n'est pas pensé pour la thèse. Il ne fait pas gestion de bibliographie, n'est pas aussi structuré qu'une base de données. Il était parfait.
Je pouvais ranger mes lectures par carnets, et indexer chaque notes avec des "tag" modifiables à loisir. Pdf intégrables, et recherche dans le texte possible... la magie donc. Nouveauté en 2008, le contenu de ce que j'y entrais était immédiatement sauvegardé en ligne (ce qui m'a permis de le récupérer sur 3 ordinateurs successifs, à la suite de crash de disques dur au cours des années de thèse, sans en perdre une miette)
J'ai confié tout le matériel de ma thèse à l'éléphant vert. Et quand c'est devenu sérieux entre nous, je me suis même offert l'abonnement.
Les listes de lectures imposées par le programme doctoral montréalais se sont donc gentiment rangée dans mes fichiers de bibliographie. Nom de l'auteur et titre de l'ouvrage pour identifier ma note, et me voilà avec toute ma bibliographie bien rangée, au même endroit, et des notes qui ressortent sur demande d'un mot-clef.
Evernote et ma bibliographie |
En parallèle, des carnets, intitulés "journal de thèse". Des carnets qui m'ont suivi dans les bibliothèques, et puis ensuite dans les archives, et puis à nouveau à la bibliothèque au cours de la rédaction. Pas vraiment des notes de lectures dedans, plutôt quelques réflexions qui ne naissent que sous le stylo, et puis des cote de livres à aller chercher dans les rayonnages, des dessins pendant des conférences
Au final, j'en ai rempli une petite dizaine
Et puis j'essayais d'organiser tout ce que je lisais, d'essayer de commencer à comprendre. J'ai punaisé des papiers sur des murs, des trucs flous et désorganisés auxquels j'essayais de donner du sens.
État de la thèse, 2009-2010 |
Ce n'était pas un plan de thèse comme je le pensais à l'époque, plutôt un manière d'essayer de domestiquer l'hydre à quinze têtes qu'était devenue la thèse. Il y a des post-it multicolores, des flèches, des tentatives de codifier des notions. Et l'impression que ça ne marchait pas vraiment, de me cogner contre un mur.
Et puis des sous dossiers dans Evernote, pour y ranger des réflexions. Je suis régulièrement revenue dans certains de ces dossiers, d'autres se sont perdus, rouverts pour cet article pour la première fois depuis 4 ou 5 ans.. Ah tiens, j'avais ça..
Le périple des archives
Après deux ans de lectures, s'ouvre le périple des archives. Des dépôts départementaux en Auvergne, d'autres à Paris, et puis au Québec des archives de congrégations religieuses. Pour ne pas me perdre dans tout ça, à nouveau Evernote et un grand classeur vert. Je me suis baladée dans les dépôts avec mon appareil photo, deux cartes-mémoire, mon chargeur, mon ordi, et mon classeur. J'ai rangé dans le classeur des copies d'inventaires d'archives, soigneusement stabilotés le soir une fois les documents consultés et les photos prises. À chaque lieu de conservation d'archive, un carnet Evernote, à chaque nouvelle boîte, une fiche... Comme le logiciel n'est pas prévu pour archiver une bibliographie, il n'avait aucun problème avec mes fiches baptisées selon leur cote d'archive. Quelques mots pour me rappeler ce qui s'y trouvait, des "tag" à l'occasion, et chaque photo archivée le soir selon le même système dans le dossier "thèse" de l'ordinateur. Progressivement, le classeur papier est devenu obsolète, alors que les fichiers Evernote et les photos d'archives se répondaient.
index papier |
sources rangées |
Index intelligent |
Entre la fin de cette période de récolte et le début de la rédaction, quasiment un an. Bon, d'accord, il y a eut 7 mois de grève étudiante au Québec, et ça a pris tout le temps, l'énergie et la capacité de réfléchir dont je disposais, comme tous ceux qui ont substitué études, lectures et écriture au profit d'AG, manifestations et réunions militantes.
Et puis à la fin de l'été 2012, sur le chemin du retour d'un week-end qui nous avait entraîné au parc d'Oka, j'ai trouvé LE plan. Celui qui faisait tenir ensemble et de manière cohérente ces 88go de photos d'archives et toutes ces choses accumulées depuis quatre ans.
Oui oui, ceci est la traduction papier de quelque chose de très clair. |
La rédaction
Ont alors commencé deux années d'écriture. Honnêtement, je pensais que ça prendrait la moitié du temps. Mais l'écriture de thèse, en ce qui me concerne en tout cas, est un processus long, une matière résistante. Le moment où finalement les idées se forment, lentement, longuement, douloureusement. Comme tout ces fichiers et dossiers bien classés le laisse supposer, je suis une grande procrastinatrice qui aime ranger dans des beaux classeurs pour repousser le moment de travailler réellement. J'ai passé trois mois à peaufiner mon plan de thèse.
(non mais il était joli, avec plein de couleurs et tout)
Au passage, j'ai découvert (je ne sais plus comment), Scrivener. Oui, parce que l'idée de devoir écrire ma thèse dans Word (cet outil de Satan) me faisait vraiment peur. En plus, pour d'obscures raisons de versions plus ou moins craquée, ma version de Word avait cette charmante habitude de planter pour tout document de plus de 15 pages, et de me dire que "Word a quitté inopinément", ce que je trouvais fort grossier lorsque je retrouvais mon fichier pas à jour, et la mise en page détruite (plus de paragraphe, même taille de police des titres et du texte... un rêve).
Scrivener donc, mon deuxième meilleur ami. Fait pour écrire des textes longs. Une interface qui divise l'écran de tel manière que même sur les 13pouces de mon macbook, j'ai l'impression d'avoir de la place, alors que même en plein écran Word me hurle que mon écran est trop petit.
Scrivener donc, mon deuxième meilleur ami. Fait pour écrire des textes longs. Une interface qui divise l'écran de tel manière que même sur les 13pouces de mon macbook, j'ai l'impression d'avoir de la place, alors que même en plein écran Word me hurle que mon écran est trop petit.
Comme finalement j'avais un plan de thèse super structuré (3 parties de 3 chapitres chacun, j'aurais voulu le faire exprès que je n'y serais pas parvenue), j'ai fait des dossiers et des sous dossiers. C'était joli et réconfortant. Et toute la thèse dans un seul document. Ouvrir un dossier "thèse" et écrire directement dedans donnait un peu le vertige.
Le plan s'est un peu modifié sur la fin de l'écriture, mais remplir des dossiers et les changer de couleurs une fois chaque chapitre achevé : un sentiment magique. |
Au fur et à mesure de l'écriture, je replongeais dans mes sources, donc dans Evernote. À chaque début de chapitre, de sous partie, de sous section, je faisais un plan détaillé, et j'allais chercher par mots clefs les articles et ouvrages, puis les sources, qui allaient m'être utiles. À ce moment là, j'ai imprimé. Beaucoup. De toutes façons, depuis 2012, je me suis établie à Montréal, et les voyages en avion sont 1/plus rares 2/destinées à des vacances ou colloques.
Un dossier par chapitre, grosso modo, avec mes fiches dedans. Et des dessins dessus parce que par moment - souvent - la rédaction bloque, et que vider des stylos multicolores sur des dossiers cartonnés premier prix laisse l'esprit vagabonder et les idées se former. Et puis ils deviennent jolis, et donc moins désagréables à ouvrir.
Dans Evernote, j'ai fais des copies de fiches, pour les ranger non plus selon les lieux ou les archives sont conservées, mais par types de documents, puis par thématiques de chapitres sur la fin, alors que l'organisation générale n'était plus si importante puisque la fin était à portée de main.
poétique au possible, je sais |
Écrire la première version des huit chapitres de la thèse m'a occupée de décembre 2012 à décembre 2014. Certes, entre les deux, il y a eut quelques colloques, un dossier de candidature pour un poste de prof, des charges d'enseignement. Mais finalement, deux ans d'écriture pour aboutir en décembre dernier à un classeur de 286 pages :
À chaque fois que j'ai terminé un chapitre, je l'ai imprimé. Enfin, les deux premiers. Après, j'ai oublié, et je n'ai finalement complété l'impression qu'après avoir bouclé la première version du huitième. Je conseille ça à tout le monde. D'un coup, la thèse s'est mise à exister, physiquement. Les différences entre cette version et celle soumise au jury sont multiples (finalement, sept chapitres, et plus vraiment en trois parties). Mais malgré une conscience assez précise du travail qui restait à faire, cette thèse visible m'a rendue heureuse pendant au moins dix jours (oui, ça paraît dérisoire. En fin de thèse pourtant, c'est extraordinaire)
À partir de la mi-janvier, le compte à rebours de fin à commencé. J'ai repris mes chapitres constellés de commentaires, remarques et corrections. Sur les conseils d'une amie qui a déposée sa thèse quelques mois avant moi, j'ai fait une liste de toutes les choses à faire. Un documents "bloc note" dans Word, avec des onglets, la liste de choses à faire, et le plaisir des les rayer à la fin de chaque journée.
Au cours de ces deux mois, j'ai réécris les cinq premiers chapitres, devenus finalement quatre, et puis retravaillé plus légèrement les derniers, qui étaient plus abouti (et rédigés plus tard, ceci expliquant cela). J'ai délaissé Scrivener pour Word, il fallait bien que les directeurs puissent corriger les chapitres. Depuis un an, une nouvelle version ne crashe plus aussi souvent, et finalement ça s'est bien passé.
Tout les chapitres se sont gentiment rangés dans un dossier, changeant de couleur selon leur état d'avancement, et de numéro selon leur version.
En bleu, bon pour le fichier final |
Et puis après le tunnel d'écriture, les derniers jours avec déficit de sommeil, les joies de la mise en page, j'ai fini à 2h du matin un PDF. Imprimé le tout le lendemain et remis à la garde de la responsable du département.
Sept exemplaires, pour plus cher que mon loyer. Mais avec du soleil. |
Depuis j'attends, suspendue dans cette période où on ne contrôle plus rien. La thèse s'est rendue, je l'espère, jusqu'aux bureaux des membres de mon jury. Il ne reste qu'à attendre. j'ai rangé mon exemplaire sur une étagère, et je refuse de l'ouvrir avant de lire les rapports de pré-soutenance (je ne peux plus rien faire contre les multiples coquilles qui, je n'en doute pas, émaillent le texte). En attendant je dors, je me remet à coller des choses de couleurs sur des toiles, et je perfectionne mes recettes de brioches aux pralines.
J'ai une envie folle de ranger dans des boîtes tout ce bazar de thèse, mais la superstition me dit d'attendre que tout soit vraiment fini.
Ah oui, comment mange-t-on un éléphant disais-je ? Une bouchée à la fois, en le découpant en petits morceaux.
[edit juillet 2015 : thèse soutenue le 9 juin dernier, félicitations du jury et autres choses agréables. Voilà, ça c'était pour ceux qui se demandaient ce qui s'était passé ensuite. Il faudra que je fasse un billet sur l'état bizarre de l'après soutenance un de ces jours.]