Je dois rendre, pour le 1er février, un compte-rendu critique du dernier ouvrage de George Vigarello, Les métamorphoses du gras. Et je n'y arrive pas.
Bon, c'est vrai, j'ai cette détestable habitude de laisser traîner mon travail pour ne le faire qu'à la dernière minute. J'imagine que je ne peux pas être productive sans stress, sans être au pied du mur (au moment de la rédaction de la thèse, ça va être drôle tiens).
Mais il y a aussi que ce bouquin me déçoit, et je suis empêtrée dedans.
J'ai demandé au responsable de la revue de faire la critique de ce bouquin. J'aime bien en général les travaux de Vigarello. Déjà, je le trouve bon en conférence, ou à la radio. Il parle très bien de ce qu'il fait, sait rendre ses travaux accessibles.
Ensuite, il a une formation atypique pour un historien. Qu'est-ce qu'un historien ? Quelqu'un qui a fait de longues études assit dans des bibliothèques et des dépôts d'archives, assis devant ses feuilles de papier, son ordinateur. Quelqu'un qui passe donc le plus clair de son temps, assis, à lire, écrire, réfléchir. Un pur esprit quoi...
Sauf que, comme personne n'est un pur esprit, c'est un mode de vie plutôt malsain. D'autant que c'est le genre de boulot qu'on ne fais pas sans passion, et qui a donc tendance à envahir tous les espaces de votre vie, alors que justement, pour tenir ce rythme, il faut avoir une vie qui permette de se rappeler qu'on a un corps, que ce soit en sortant danser, boire,a voir une famille, ou faire du sport... vivre quoi.
Et donc j'aime bien Vigarello pour ça, parce que ce type est certes agrégé de philosophie (ce qui est déjà un signe d'un minimum d'ouverture pour un historien), mais, au départ, il est diplômé en éducation physique... prof de sport quoi. Alors que voulez-vous, un prof de sport qui devient un pape chez les historiens, directeur d'étude à l'EHESS, moi je trouve ça plutôt génial.
Bonus : Cette formation l'a visiblement marquée, parce que ses sujets d'étude tournent presque exclusivement autour du corps (en fait, je ne lis de lui que ce qui tourne autour du corps, mais je laisse un presque au cas ou il aurait bossé sur autre chose à un moment..). La propreté et l'hygiène, le sport, la minceur, les vêtements et donc, l'obésité.
Je me réjouissais donc à l'idée de lire les 300 pages des métamorphoses du gras (j'adore ce titre), gratuitement, avec en contrepartie, une simple critique. J'ai passé mon examen de synthèse il y a 4 mois, ce qui signifie que l'année dernière, j'ai lu des milliers de pages (littéralement, genre 25 000 environ) et fait des synthèses critiques sur ces bouquins, dont certains étaient passablement indigestes. (J'ai un souvenir plutôt marquant d'un article traitant du mythe de l'égalitarisme paysan en Nouvelle-France. ). Je me donnais donc naïvement 48 h pour ce livre là...
C'est lourd, touffu, sans le moindre fil directeur un tant soit peu argumenté. En fait, c'est ça, y a pas de thèse ou d'argument, juste des éléments sortis des archives, placés en ordre chronologique, et découpé en plusieurs grandes parties, en l'occurrence celles-ci :
- 1/le glouton médiéval
- 2/le balourd moderne
- 3/De la balourdise à L'impuissance, les Lumières et la sensibilité
- 4/Le ventre bourgeois
- 5/ Vers le «martyre»
Chaque partie est découpée en chapitres courts, mais ils ne sont pas pour autant légers. Ils sont touffus, pleins d'informations certes, mais là encore, ça donne l'impression de ne pas avoir de but. Et cette impression est corroborée par l'absence de conclusions partielles. Ou même d'une conclusion tout court d'ailleurs (là, Antidote me dit qu’« une conclusion toute courte » serait grammaticalement correct...j'ai comme un doute sur ce magnifique logiciel là), parce que 3 pages pour en conclure 300, lorsqu'il n'y a pas de conclusions partielles, je trouve ça un peu léger. En tout cas, ça ne simplifie pas le moins du monde la tâche de l'étudiant, du chercheur ou de toute personne qui cherche rapidement une information dans l'ouvrage, ou le point de l'auteur, puisque tout est construit avec ce ton neutre, en ordre chronologique, comme si l'auteur avait voulu toujours se mettre en retrait.
Or ce n'est pas le cas. Il y a forcément une idée, un point de vue personnel derrière un ouvrage de ce type. C'est pas obligatoirement une prise de position tranchée, hyper politique, mais il y a un point de vue, un choix, à un moment, de mettre cet événement là en avant, de poser telle anecdote avant une autre... Sauf qu’entre la construction « neutre » et son ordre chronologique, et l'énorme travail d'archives, trouver ladite thèse est fort complexe, et la mettre en évidence demande une connaissance des sources comparable à celle de l'auteur. C'est sur qu'avec mes 25 ans et mon doctorat en cours, je ne rivalise pas avec les connaissances d'un directeur d'étude de l'EHESS. En fait, il doit y avoir environ 3 personnes sur terre qui doivent pouvoir repérer le moment ou l'auteur fait un choix... C'est bien, c'est certes un gage de travail et de qualité, mais c'est frustrant pour les autres, ça ne laisse pas beaucoup de place à la critique.
Ça doit être pour ça que l'on tombe souvent sur des review plates, qui expliquent que « cet ouvrage démontre un immense travail de recherche » et permet « de donner un nouvel éclairage sur cette question qui fait l'objet de débats contemporains » et qui enfin « fera date dans l'historiographie ».
Les bouquins américains (USA/Canada/Québec), ou anglais sont généralement structurés différemment. Avec des conclusions à la fin de chaque chapitre, une thèse claire et un point de vue de la part de l'auteur-e, assumé. Ça m'a pris un peu de temps, mais finalement, je préfère.
Bon ben voilà, pour le questionnaire « À quoi reconnais-tu ta transformation en Nord-Américaine ?», j'ai un point de plus.
Bein voilà tu l'as ton compte-rendu... il suffit juste de rajouter quelques notes de bas de pages.
RépondreSupprimerSi seulement...
RépondreSupprimer[un premier commentaire ... c'est incroyablement émouvant :)]